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En quête d’un aluminium plus vert

Jean-François Venne|Édition de janvier 2024

En quête d’un aluminium plus vert

Le Graal de l’aluminium vert demeure toutefois la décarbonation du processus traditionnel de production de l’aluminium. (Photo: 123RF)

INDUSTRIE DE L’ALUMINIUM. L’aluminium canadien présente actuellement la plus faible empreinte carbone au monde, mais plusieurs pays s’efforcent de gommer cet avantage concurrentiel. Les producteurs d’aluminium québécois doivent donc rendre ce métal encore plus vert.

L’empreinte carbone de la production de l’aluminium dépend surtout de deux facteurs: l’énergie et les processus de production. Comme les alumineries québécoises sont alimentées à l’hydroélectricité, elles génèrent un métal beaucoup plus vert que leurs principaux rivaux que sont la Chine, l’Inde, la Russie, les Émirats arabes unis ou le Bahreïn.

«Cependant, nos concurrents commencent à construire des centrales électriques beaucoup plus vertes pour alimenter leurs alumineries, donc cet avantage compétitif du Québec ne durera pas éternellement», prévient Daniel Marceau, professeur titulaire à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Un article publié dans Les Affaires en janvier 2023 rappelait que le producteur Emirates Global Aluminium produit déjà de l’aluminium plus vert grâce à de l’énergie solaire fournie par la Dubai Electricity and Water Authority. Le deuxième plus grand producteur d’aluminium au monde, le China Hongqiao Group, veut quant à lui déplacer la production de deux millions de tonnes d’aluminium dans une province qui offre de l’hydroélectricité.

En attendant de verdir leur production, certains pays, surtout la Chine et l’Inde, octroient des subventions faramineuses à leurs producteurs, ce qui leur permet de conserver leurs prix très bas. Les associations de producteurs d’aluminium du Canada, des États-Unis, de l’Europe et du Japon dénoncent régulièrement cette aide jugée déloyale et dommageable pour l’environnement.

Ils rappellent que la part de la Chine sur les marchés mondiaux de l’aluminium est passée de 8% à 58% au cours des 20 dernières années, surtout grâce à ces subsides étatiques. Pendant la même période, la part de la Chine dans les émissions totales de CO2 de l’industrie de l’aluminium a bondi de 12% à 71%. La Chine et l’Inde affichent un ratio d’aide à la production entre 1,8 et 7 fois supérieur à la moyenne mondiale, et des intensités d’émission de GES qui sont une fois et demie à trois fois plus élevées que dans les économies de l’OCDE.

 

Une innovation de rupture

«Les producteurs québécois ne pourront pas compter seulement sur l’hydroélectricité pour conserver leur avantage lié à la faible empreinte carbone; ils devront également mettre en place des processus de production plus verts», affirme Daniel Marceau, qui agit aussi comme directeur du Centre universitaire de recherche sur l’aluminium (CURAL) et directeur adjoint du Regroupement stratégique sur l’aluminium (REGAL).

En juin 2023, le gouvernement du Québec dévoilait une aide financière maximale de 150 millions de dollars à Rio Tinto pour soutenir l’implantation de 96 cuves de la technologie d’électrolyse à faible empreinte carbone AP60 dans une nouvelle aluminerie construite au complexe Jonquière, au Saguenay. Ces cuves réduisent de moitié les émissions de GES par tonne d’aluminium, comparativement aux vieilles cuves de l’usine d’Arvida.

«Les cuves AP60 sont les moins émettrices de GES parmi toutes les technologies disponibles actuellement, rappelle Stéphanie Gignac, directrice des opérations au Québec pour Rio Tinto. À terme, nous disposerons de 134 cuves AP60 dans la nouvelle usine, qui produiront 160000 tonnes métriques supplémentaires d’aluminium. C’est un investissement de 1,4 milliard de dollars.» Rio Tinto s’est engagée à réduire de moitié ses émissions de GES d’ici 2030 et à devenir net zéro en 2050.

Le Graal de l’aluminium vert demeure toutefois la décarbonation du processus traditionnel de production de l’aluminium. C’est la quête du projet Elysis, une coentreprise des deux rivaux historiques, Alcoa et Rio Tinto. Ces deux entreprises mènent des recherches depuis plusieurs années pour remplacer les anodes émettrices de CO2 par des anodes dites inertes, qui émettent de l’oxygène plutôt que du CO2 lorsqu’on procède à l’électrolyse pour séparer l’aluminium de l’alumine.

«C’est notre conquête de l’espace, estime Jean Simard, président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada. Ce serait une révolution mondiale dans la production de l’aluminium.» Le projet est soutenu par les gouvernements du Canada et du Québec, qui y ont injecté 80 millions de dollars chacun. Le géant Apple, lui-même à la recherche d’un aluminium le plus vert possible pour ses produits, a investi 13 millions de dollars dans l’aventure.

Avant de démissionner en juin 2023, l’ancien chef exécutif de Rio Tinto, Ivan Vella, avait cependant émis des doutes quant à la possibilité d’utiliser la technologie Elysis dans les usines canadiennes, jugées trop vieilles. Cette implantation passerait par la construction de nouvelles alumineries, qui ne sera rentable, toujours selon lui, que si l’entreprise peut conserver ses tarifs énergétiques préférentiels.