Apprendre à devenir résilient... (Photo: Tamas Tuzes-Katai/Unsplash)
CHRONIQUE. Consommation, emploi, tourisme,… À regarder vite fait les chiffres, la situation économique semble aller de mieux en mieux, maintenant que le déconfinement est amorcé. Mais gare, car «les chiffres sur la reprise sont trompeurs», lance une étude de Deloitte.
Ainsi, les chiffres concernant la reprise économique doivent toujours être mis en lumière à partir de ceux de la chute qui les a précédés : «reprendre d’une baisse de 50% nécessite une remontée de… 100%!», illustre l’étude signée par Craig Alexander, économiste en chef, et Michael Dolega, économiste principal, de Deloitte.
Voilà pourquoi, «au vu de la gravité du ralentissement au Canada, l’activité économique restera morose même si les chiffres semblent indiquer une reprise solide», notent-ils.
Prenons un exemple… Les résultats de l’Enquête sur la population active indiquent que 289 000 emplois ont été créés en mai au Canada. En temps normal, même le dixième de ce chiffre est considéré comme excellent. Il est pourtant faible quand on le compare aux trois millions d’emplois perdus au cours des deux mois précédents. «En fait, malgré ce gain, le taux de chômage – qui comprend les travailleurs qui ne sont pas à la recherche d’un emploi en raison de risques pour leur santé – est resté à presque 20%», soulignent MM. Alexander et Dolega.
Et de marteler : «Donc, même si les prévisions semblent solides, et indiquent même un rebond aussi marqué que l’effondrement a été brutal, l’ampleur de la chute de l’activité économique a été telle que la reprise sera, en fait, lente».
Une reprise lente, par conséquent. Très lente. Très très lente.
«Il faudra au moins six trimestres avant que l’économie canadienne soit complètement rétablie, c’est-à-dire avant que l’activité économique atteigne son niveau d’avant la COVID-19. Un long délai qui s’explique par la persistance des risques pour la santé et par la nature graduelle du redémarrage», affirment les deux économistes de Deloitte.
Six trimestres? Cela nous mène à la toute fin de 2021. Pour ne pas dire au début de 2022.
L’étude s’appuie sur de nombreuses prévisions pour en arriver à une telle conclusion. L’une d’elle concerne la consommation des Canadiens. «Les dépenses de consommation représentent près de 60% de l’activité économique du pays. Or, les ménages ont fortement réduit leurs dépenses, la reprise du marché du travail va prendre du temps, et les gens vont continuer de dépenser avec mesure. On peut en conclure que la croissance économique ne sera que modeste à modérée après le rebond initial (que nous connaissons aujourd’hui)», y est-il indiqué.
Autre exemple frappant : l’immobilier. «Il y a un risque réel que les prix des maisons subissent une correction, et la construction en subira les contrecoups. La hausse du taux de chômage, la baisse des revenus des particuliers, les risques persistants pour la santé et l’augmentation de l’endettement sont autant de facteurs défavorables au marché immobilier», avancent-ils, en prévoyant «un afflux de copropriétés sur le marché, les investisseurs estimant que les revenus de location ne sont pas à la hauteur».
À cela s’ajoute, à leurs yeux, le fait que certains secteurs de l’immobilier présentent des risques spécifiques : «L’immobilier commercial, par exemple, est particulièrement vulnérable en raison de la popularité actuelle du télétravail», affirment-ils.
Si l’on réunit tous ces éléments, quelles sont les perspectives de croissance pour l’économie canadienne? Après avoir reculé de 8,3% sur une base annualisée au premier trimestre de 2020, le produit intérieur brut (PIB) a plongé de 39,8% au deuxième trimestre. La reprise semble s’être amorcée en mai, si bien que l’économie «devrait croître d’en moyenne 27% sur une base annualisée au second semestre».
«Pour l’ensemble de l’année, il est prévu que l’économie canadienne se contractera de 5,9%, avant de remonter de 5,6% en 2021. Idem, l’emploi reculera de 3,5% cette année, avant de progresser de 3,7% l’année prochaine», prédit l’étude de Deloitte, en soulignant au passage que «ces chiffres peuvent sembler encourageants, mais il faut notamment indiquer que le taux de chômage à la fin de 2021 sera encore nettement plus élevé que celui d’avant la pandémie».
Les économies de l’Alberta et de Terre-Neuve-et-Labrador devraient subir les plus importantes contractions en 2020, leur PIB réel chutant de plus de 8%, tandis que celle de la Saskatchewan devrait reculer de près de 7%. «Cette piètre performance est imputable à leur forte dépendance au secteur de l’énergie.»
De leur côté, l’Ontario et le Québec devraient s’en sortir «un peu mieux que la moyenne», avec des chiffres à peu près similaires (un recul de 5,6% en 2020 et une reprise de 5,5% en 2021).
Quant à elle, l’économie de la Colombie-Britannique devrait afficher la meilleure performance, grâce au recul le plus faible en 2020 (-4,8%) et au retour à la normale le plus rapide en 2021 (+6,1%).
Autrement dit, la COVID-19 va de toute évidence laisser des cicatrices durables sur l’économie canadienne. D’autant plus que les plaies ne sont pas encore fermées, loin de là. «Le principal risque actuel, c’est une deuxième vague d’infection, surtout si elle se solde par de nouvelles mesures de confinement», indiquent les deux économistes, en se refusant toutefois de tenir compte d’une telle éventualité dans leurs prévisions.
«Si, et seulement si, cette deuxième vague n’a pas lieu et le redémarrage graduel des économies se poursuit partout sur la planète, alors le Canada pourrait entamer une remontée au second semestre de 2020», disent-ils.
Il y a de cela seulement quelques jours, Horacio Arruda, le directeur national de santé publique, a dit et répété qu’il était convaincu qu’une deuxième vague avait «95%» de chances de se produire au Québec. Et que celle-ci risquait fort de se produire à la mi-août, si ce n’est au tout début de septembre. Soit au moment précis de la rentrée, du traditionnel redémarrage rapide de l’économie.
C’est dire combien la reprise économique est fragile… Deloitte annonce un retour à la normale pour le début de 2022, mais à condition qu’il n’y ait d’ici là plus aucun pépin sanitaire. Or, la santé publique se prépare d’ores et déjà au retour du cauchemar, et par suite à de nouveaux plans de confinement sectoriels. Par conséquent, il est clair qu’il va falloir, pour chacun de nous, faire preuve de patience, ou plutôt de résilience. Oui, qu’il va nous falloir trouver le moyen de tenir bon jusqu’au jour où un vaccin sera enfin accessible pour tout le monde.
Bref, vous comme moi, nous nous devons de tenir bon encore six trimestres? Hum… En vérité, la lucidité impose d’en anticiper davantage. Et la sagesse, peut-être, de se dire que chacun de nous pourrait profiter de cette parenthèse pour apprendre à vivre autrement, pour grandir intérieurement et pour ensuite – pourquoi pas? – rayonner plus harmonieusement.
En passant, l’homme d’État français Jules Ferry a dit dans son discours du 28 juillet 1885 : «Rayonner sans agir, c’est abdiquer».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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