Les provisions pour les pertes potentielles des hypothèques commerciales à la Banque TD ont plus que doublé depuis le début de la pandémie. (Photo: 123RF)
ANALYSE. Les banques canadiennes pourraient rester sur le banc des pénalités quelque temps encore parce qu’elles affrontent plusieurs vents contraires en même temps.
C’est ce qui ressort de la plus récente saison des résultats qui a vu cinq des huit plus grandes banques canadiennes rater la cible des analystes au deuxième trimestre.
Résultat, les titres bancaires se sont affaissés de 6,5 % en mai.
Les institutions se préparent à la détérioration de la situation financière de leurs clients et aux risques de défaillance en relevant les réserves qu’elles mettent de côté pour éponger les pertes potentielles sur les prêts, mais le ralentissement économique ne fait que commencer.
Les provisions pour pertes sur prêts potentielles de 3,45 milliards de dollars inscrites au deuxième trimestre par les six plus grandes banques sont 13 fois plus importantes que celles d’un an plus tôt.
« Presque toutes les variables financières sont sous pression. Nous croyons que le cycle de révision à la baisse des bénéfices est plus près du début que de la fin », explique Gabriel Dechaine, de la Financière Banque Nationale.
Le bond moyen de 13 % des frais autres que d’intérêts au cours du deuxième trimestre s’ajoute à la modération dans l’octroi de prêts, à la dépréciation des immeubles de bureaux, à la détérioration des créances et à l’effet négatif de l’accroissement du coût de financement sur les marges d’intérêts.
L’augmentation des dépenses, principalement les salaires, est telle que le grand patron de la Banque Royale (RY, 121,59 $) a promis, lors de la téléconférence, que le contrôle des coûts serait en tête de ses priorités d’ici la fin de l’année. « Les coupes seraient imposées d’ici le quatrième trimestre et leur effet se ferait sentir en 2024 », précise l’analyste qui s’attend à ce que d’autres institutions emboîtent le pas, entraînant des charges de restructuration.
Les fonds mis de côté pour pallier les pertes potentielles sur créances — soit de 33 points de pourcentage de l’encours des prêts en moyenne — sont actuellement la moitié de ce qu’ils devraient être dans un scénario de « récession modérée », précise-t-il.
Depuis le début de 2023, Gabriel Dechaine dit avoir amputé ses prévisions pour 2024 de 10 % pour les six grandes banques, comparativement aux coupes de 6 % de l’ensemble des analystes.
L’évaluation attrayante peut encore baisser
À première vue, l’évaluation des titres bancaires a l’air attrayante, mais les bénéfices du ratio cours/bénéfice seront revus à la baisse, gonflant mathématiquement le multiple, explique Martin Roberge, de Canaccord Genuity.
Les banques s’échangent à un multiple de 9,2 fois les bénéfices prévus dans 12 mois, ce qui est 13 % inférieur à la moyenne des dix dernières années.
Tant que ce processus de réévaluation des bénéfices et du multiple aura cours, le stratège quantitatif restera neutre envers les titres bancaires dans sa stratégie sectorielle à court terme.
« Au multiple actuel, les titres bancaires reflètent le scénario d’atterrissage en douceur de l’économie et pas une récession. Leurs titres restent donc vulnérables », ajoute-t-il.
Historiquement, lors de récessions, le multiple des banques atterrit autour de huit fois les bénéfices prévus.
En ce qui a trait aux craintes suscitées par la dépréciation de l’immobilier commercial, en particulier le taux d’inoccupation des immeubles de bureaux, Hugo Sainte-Marie, stratège à la Banque Scotia, se veut à la fois rassurant et prudent.
Globalement, les hypothèques consenties pour les immeubles de bureaux représentent à peine de 1 % à 2 % de l’ensemble des prêts des banques canadiennes, si bien que le risque pour les bénéfices semble « gérable », selon les informations fournies lors des téléconférences du deuxième trimestre. Le stratège recommande tout de même à ses clients de rester vigilants, surtout si les taux élevés devaient persister.
«Le risque, pour les capitaux propres des banques, de potentielles défaillances d’hypothèques commerciales est très faible, mais le potentiel que des pertes affaiblissent les bénéfices au moment où elles surviennent reste bien réel », nuance-t-il.
Par exemple, les provisions pour les pertes potentielles des hypothèques commerciales à la Banque Royale sont le double de celles d’avant la pandémie, tandis que celles de la Banque TD (TD, 77,28 $) ont plus que doublé.