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Denis Lalonde

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Analyse de la rédaction

Entre FNB de bitcoins et pizzas à 516 millions de dollars

Denis Lalonde|Édition de février 2024

Entre FNB de bitcoins et pizzas à 516 millions de dollars

(Photo: 123RF)

Choisiriez-vous un fonds négocié en Bourse (FNB) qui investit seulement dans les actions d’une seule entreprise, comme Bombardier (BBD.B, 50,05 $), BCE (BCE, 50,14 $) ou même Apple (AAPL, 184,15 $US)?

De même, est-ce que vous choisiriez un FNB qui investit seulement dans une entreprise trois fois plus petite qu’Apple, dont les profits, inexistants, ne grimperont jamais, qui ne peut pas augmenter ses parts de marché vu son tirage limité et qui n’a aucun avantage concurrentiel par rapport à ses pairs ?

C’est pourtant ce que font des millions d’investisseurs chaque année en tentant leur chance avec le bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies. Ils peuvent se brûler comme ils peuvent toucher le gros lot en misant sur le fait qu’un déséquilibre entre l’offre et la demande finira bien par être à l’avantage des vendeurs.

Ce qui m’amène à vous parler de la Securities and Exchange Commission, le chien de garde des marchés financiers aux États-Unis.

L’organisme a approuvé, en janvier, la création de 11 FNB de bitcoins, c’est-àdire que leur seul actif sous gestion est un certain nombre d’unités de cette cryptomonnaie.

Les États-Unis rattrapent ainsi le Canada, où les FNB de bitcoins (et d’ethereum) existent depuis 2021. Par exemple, le FNB Fidelity Avantage Bitcoin (FBTC, 22,32 $), créé le 30 novembre 2021, a généré un rendement annualisé de-4,78 % depuis sa création. Au 18 janvier 2024, son actif sous gestion était de près de 265 millions de dollars canadiens (M $), soit environ 3900 bitcoins. Selon le site web de Fidelity, un montant de 10 000 $investi à l’ouverture du fonds vaudrait aujourd’hui 8978 $. Son ratio de frais de gestion est de 0,39 %, mais peut varier à tout moment jusqu’à un plafond de 0,95 %.

D’autres fournisseurs, comme Evolve, ont aussi leur FNB de bitcoins (EBIT, 25,42 $). Celui-ci, créé le 17 février 2021, a généré un rendement de-9,71 % en 2021, de-63,98% en 2022 et de 146,92 % en 2023. Depuis sa création, son rendement total est de-1,91 %. Rien pour se péter les bretelles devant le beau-frère au prochain souper de famille.

 

Outil de démocratisation

Bien sûr, ces FNB permettent de démocratiser la détention de bitcoins. C’est là, selon moi, leur seul avantage. Les investisseurs s’évitent ainsi d’avoir à ouvrir un portefeuille sur une plateforme de négociation de cryptomonnaies et de le lier à leur compte en banque pour pouvoir effectuer des transactions, sans oublier qu’il faut stocker les clés de sécurité dans un endroit sûr pour pouvoir accéder à son portefeuille. Si des cybercriminels arrivent à mettre la main sur celles-ci… un investissement peut vite se volatiliser.

Sans oublier que l’histoire regorge de disques durs endommagés ou perdus qui contiendraient, aux dires de leurs propriétaires, plusieurs millions, voire parfois quelques centaines de millions de dollars en devises numériques.

En ce sens, les fournisseurs de FNB offrent aux investisseurs une couche de protection supplémentaire, moyennant des frais de gestion plus élevés que si les investisseurs détenaient des bitcoins eux-mêmes.

 

Des FNB mal nommés

En consultant le site de la plateforme pour investisseurs autonomes Disnat, on peut lire que «les FNB combinent les avantages des actions et des fonds indiciels. Comme les actions, ils sont liquides et faciles à suivre. Comme les fonds indiciels, ils offrent une solide diversification, une bonne représentation du marché et un ratio de frais de gestion peu élevé».

En ce qui concerne les FNB de bitcoins, cette définition mériterait une petite révision… Un fonds qui n’offre qu’un seul actif sous-jacent n’est pas plus un outil de diversification que de détenir directement l’actif lui-même. On devrait rebaptiser ce type de produit pour qu’il reflète mieux son niveau de risque. Permettez-moi une suggestion:un actif unique négocié en Bourse (AUNB) ? On en est rendus là.

 

Négociation limitée

Un autre désavantage est que les FNB de bitcoins peuvent se négocier uniquement durant les heures où les marchés boursiers sont ouverts, alors que les cryptomonnaies peuvent l’être en tout temps.

Sans oublier que les épargnants qui placent leurs avoirs dans les investissements selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) feraient mieux d’y penser à deux fois avant de miser sur tout type de cryptomonnaie. Dans un récent document, la société québécoise d’investissement responsable Sustainable Market Strategies soutient que l’arrivée des 11 FNB de bitcoins a généré un volume de transactions de 4,6 milliards de dollars américains (G $US) durant la première journée, avant d’ajouter que «l’excitation avait duré 20 minutes».

L’entreprise québécoise soutient que le bitcoin a un effet négatif sur le développement durable, puisque l’infrastructure nécessaire pour effectuer toutes les transactions consomme beaucoup trop d’énergie pour «un actif non productif»(qui ne génère pas de profits ni de flux de trésorerie). Elle ne passe pas non plus sous silence que l’anonymité des transactions encourage les comportements contraires à l’éthique et les transactions illégales.

Autre élément qui, selon moi, joue en défaveur du bitcoin à long terme, c’est que la taille du marché est relativement petite, à environ 965 G $US à la mi-février. Quelques investisseurs aux poches très profondes pourraient facilement manipuler le marché sans que personne ne puisse intervenir, entraînant dans leur sillage des milliers de petits investisseurs espérant obtenir leur part de la… pizza !

Il y a bien sûr des manières d’utiliser des cryptomonnaies de manière tout à fait légale. Le 22 mai 2010, par exemple, un développeur a dépensé 10 000 bitcoins (qui valaient alors un total de 41 $US) pour s’acheter deux pizzas de format large pour souper afin, dit-on, «d’avoir des restes pour le lendemain». À la mi-février 2024, alors que le bitcoin valait près de 51 600 $US, ces 10 000 pièces de monnaie numérique avaient une valeur d’un peu moins de 516 M $.

Qui a donc envie, aujourd’hui, de s’acheter une pizza en bitcoins quand sa valeur peut bondir sans raison quelques minutes plus tard ? Ça pourrait finir par avoir coûté cher de la pointe. Pour devenir monnaie courante, le cours du bitcoin devra se stabiliser, mais sans réglementation internationale pour encadrer ses variations, ce n’est pas demain la veille que ça arrivera. D’ici là, la numéro un des cryptomonnaies restera un outil pour les spéculateurs.