Entrepreneurs, voici comment faire aimer vos chantiers!
Olivier Schmouker|Édition de la mi‑septembre 2020Nous n'avons pas fini de «chialer» contre la multiplication des chantiers, des bouchons et des cônes orange. La grogne ne cesse d'enfler au sein de la population. (Photo: 123RF)
BLOGUE. Les chantiers, quelle plaie ! Ils nous polluent le quotidien et, surtout, ils n’en finissent jamais. Pas vrai ?
Regardez un peu ça… Cet automne, on va compter jusqu’à 41 grands chantiers routiers à Montréal, selon les données de Mobilité Montréal. Il y aura ceux dont on ne voit pas le bout, comme l’échangeur Turcot, l’échangeur Dorval et le pont Louis-Bisson. Il y aura surtout les nouveaux, comme le pont Pie-IX, qui va grandement affecter les Lavallois (fin des travaux planifiée pour 2023), ou encore les ponts d’étagement du boulevard de la Côte-Vertu, au-dessus de l’autoroute 40. Sans parler, bien entendu, des travaux du Réseau express métropolitain (REM) qui entraînent des fermetures d’autoroutes à répétition, ni même de ceux du Réseau express vélo (REV) qui exacerbent la haine entre cyclistes et automobilistes.
Même chose en région. Un exemple frappant : François Bonnardel, le ministre des Transports, responsable de l’Estrie et député de Granby, a débloqué, en août, une enveloppe de 3,1 millions de dollars pour la réfection de trois artères de Granby (rue Coupland, rang Bergeron Ouest et rue Denison Ouest), couvrant ainsi 90 % des coûts des deux premiers chantiers et 65 % de ceux du troisième. Une prémisse de ce qui nous attend un peu partout au Québec, vu que le gouvernement Legault entend relancer l’économie grâce à une «politique du béton et du goudron».
Autrement dit, vous comme moi, nous n’avons pas fini de «chialer» contre la multiplication des chantiers, des bouchons et des cônes orange. D’ailleurs, la grogne ne cesse d’enfler au sein de la population, à tel point que la mairesse Valérie Plante a elle-même apostrophé des cols bleus sur un chantier montréalais, dénonçant leur incompétence («l’absence de sécurité, de signalisation, de propreté», a-t-elle écrit sur Instagram), et qu’elle entend revoir son calendrier des chantiers.
Mais voilà, gueuler et reculer d’un pas, est-ce là la bonne attitude à avoir lorsqu’on est politicien ? Et provoquer la colère de tout le monde, lorsqu’on est entrepreneur ? Non, ça va de soi. L’idéal, ce serait de faire aimer les chantiers par l’ensemble des citoyens. Ce qui est bel et bien possible, à condition de miser sur… la neuroscience. Explication.
D’après vous, pourquoi les chantiers sont-ils toujours en retard et plus chers que prévu ? Pour le saisir, considérez vos propres projets de rénovation : en vérité, ils sont toujours en retard et plus chers que ce que vous aviez anticipé, comme en atteste une étude du site Remodeling sur la rénovation des cuisines qui montre que les particuliers prennent plus de temps et dépensent plus que ne l’indiquait leur première estimation.
C’est que notre cerveau peine avec les probabilités composées. Il devient carrément nul dès lors qu’il nous faut évaluer une série de probabilités, en l’occurrence les chances que telle étape du projet soit franchie en temps et coût, puis telle autre, puis telle autre, etc.
Tenez, j’ai un petit exercice pour vous le prouver : disons que vous devez vous rendre du point A au point B, et éviter quatre obstacles en chemin. Sachant que vous avez 80 % de chances d’esquiver chaque obstacle, quelle est la probabilité que vous arriviez à B avec succès ? Le calcul est simple (0,8 x 0,8 x 0,8 x 0,8 = 0,41). Néanmoins, une expérience du sociologue français Gérald Bronner montre que la moitié des gens pense que la réponse est 80 % (à leurs yeux, le résultat n’est pas affecté par le nombre d’obstacles) et que la moyenne des réponses est de 60 %. «Nous avons tendance à largement surestimer nos capacités comme celles des autres, en faisant preuve d’optimisme», note le chercheur.
Résultat ? Nous avons toujours l’impression que les chantiers sont plus longs et plus coûteux que prévu parce que nous faisons toujours preuve d’optimisme au moment de les planifier. Ce qui se traduit systématiquement par de la frustration, voire de la grogne lorsqu’on pâtit directement des désagréments.
Du coup, on voit qu’il est possible de renverser la vapeur, tout simplement en pondérant nos attentes par rapport aux chantiers. Par exemple, on pourrait présenter chaque projet en quatre étapes, en attribuant à chacune d’elles un objectif en temps et en coût ainsi qu’en spécifiant une probabilité d’atteinte de celui-ci (compte tenu des aléas de la météo, etc.). Et à chaque étape franchie, on communiquerait la performance affichée.
Certes, cela n’empêcherait pas certains dépassements en temps et en coûts, mais cela responsabiliserait davantage les entrepreneurs et les politiciens, et surtout, cela apaiserait les tensions suscitées par les chantiers. Car nous verrions alors des progrès, ce qui est toujours encourageant. Mieux, ça pourrait permettre à nombre d’entre nous de finir par aimer les chantiers, à force de constater, trimestre après trimestre, l’avancement réel des grands projets et d’imaginer bientôt concrétisés les rêves des architectes et autres ingénieurs qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour rendre notre quotidien plus moderne, plus beau, plus agréable.
La preuve ? Prenez votre voiture, ce soir, vers minuit, et allez rouler tranquillement sur le nouveau pont Champlain, illuminé de vert, de bleu, de turquoise… et savourez cet instant de magie où vous avez la sensation de glisser sur le bitume comme sur une patinoire, sans jamais forcer… Oui, la vie peut être embellie grâce aux chantiers.