Éric Martel gagnera-t-il le tiers du salaire d’Alain Bellemare?
Jean-Paul Gagné|Publié le 14 mars 2020(Photo: Bombardier)
Puisque Bombardier restera avec sa seule division des avions d’affaires une fois son démembrement terminé, il sera intéressant d’observer l’ajustement qui sera fait dans la rémunération de ses hauts dirigeants.
La division des avions d’affaires a réalisé l’an dernier des revenus de 5,3 G$ US, soit environ le tiers des revenus de 15,9 G$ US de Bombardier. On peut donc se demander si la rémunération du prochain président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, équivaudra au tiers de celle de son prédécesseur, Alain Bellemare, qui a déjà quitté ou qui quittera bientôt l’entreprise.
Ce dernier a gagné environ 10 M$ à chacune des années 2017 et 2018. Cette somme comprend son salaire de 1,1 M$, des incitatifs à court et à long terme, des options, un montant pour son régime de retraite et d’autres avantages. Le vice-président principal et chef de la direction financière, John Di Bert, a obtenu une rémunération annuelle globale d’environ 4,5 M$, dont environ 600 000 $ en salaire. Quant à la rémunération du président de la division des avions d’affaires, David Coleal, sa rémunération globale a été de quelque 5,3 M$ pour ces mêmes années.
Ces chiffres sont en dollars canadiens. La rémunération de ces dirigeants pour 2019 sera divulguée dans la prochaine circulaire de sollicitation de procurations, qui devrait être disponible dans les prochains jours.
Éric Martel (Photo: Hydro-Québec)
Critères de comparaison
Pour sa part, Éric Martel a reçu l’an dernier à titre de président et chef de la direction d’Hydro-Québec une rémunération globale de 835 000 $, ce qui est très loin de celle de David Coleal, l’actuel président et chef de la direction de la division d’affaires, et encore plus loin de celle d’Alain Bellemare.
Hydro-Québec compte 19 500 employés, alors que la division des avions d’affaires en a 18 000. La société d’État a réalisé l’an dernier des revenus de 14 G$ CA, comparativement à 5,3 G$ US pour la division des avions d’affaires.
Puisqu’Éric Martel remplace Alain Bellemare, recevra-t-il une rémunération représentant le tiers (3,3 M$) de celle de ce dernier puisque la division des avions d’affaires équivaut au tiers de Bombardier avant son démembrement ? Ou encore, Éric Martel aura-t-il la rémunération de son prédécesseur à la direction de cette division, qui est plus de six fois supérieure à celle qu’il reçoit à Hydro-Québec ? De plus, qu’adviendra-t-il de M. Coleal, puisque M. Martel occupera son poste ?
Puisque la nouvelle Bombardier ne sera plus que le tiers de l’ancienne, la rémunération des autres dirigeants sera-t-elle établie au tiers de ce qu’elle est actuellement ?
Voilà des questions qu’a dû se poser ou que devra se poser le CA de Bombardier, qui, dans le passé, n’a pas été particulièrement frugal sur le plan de la rémunération de ses dirigeants.
Rémunération excessive
La rémunération des hauts dirigeants de Bombardier, et en particulier celle de son président et chef de la direction, Alain Bellemare, a toujours été une grande source de mécontentement pour ses actionnaires et les contribuables. Non seulement celle-ci a été élevée, mais, comme les résultats attendus ne se sont jamais matérialisés, elle a toujours été considérée à bon droit comme excessive.
Une nuance s’impose toutefois. Ces gestionnaires n’ont pas obtenu ou n’obtiendront pas les rémunérations publiées dans la circulaire de sollicitation de procurations. En effet, compte tenu de l’effondrement en Bourse de la valeur de l’action de Bombardier depuis un an, il y a de fortes chances que ces options ne soient jamais exercées.
Système déréglé
La rémunération des dirigeants de Bombardier est depuis plusieurs années établie sur la base du modèle nord-américain de détermination des rémunérations des dirigeants des grandes sociétés.
Selon la dernière circulaire de sollicitation de procurations de Bombardier, les consultants retenus à cette fin ont dressé pour le comité des ressources humaines du conseil d’administration de Bombardier un étalonnage des rémunérations versées aux hauts dirigeants de grandes sociétés dites comparables, parmi lesquels figuraient Boeing, United Technologies, Lockheed Martin, Textron, Deere, Caterpillar, GE, Ford et plusieurs autres grandes multinationales américaines.
Comme ce modèle de comparaison est répété dans toutes les grandes sociétés nord-américaines et que l’échantillon de compagnies utilisées inclut souvent, sinon toujours, des sociétés plus grandes et plus performantes, on fait ainsi monter les rémunérations moyennes des dirigeants pour les postes à comparer.
En ajoutant à cette mécanique bien huilée la cupidité des nombreux dirigeants, qui aiment bien comparer leur rémunération entre eux, on se retrouve avec un système inflationniste et inéquitable pour l’ensemble des travailleurs, comme l’indique année après année l’élargissement de l’écart entre la rémunération moyenne des hauts dirigeants et le salaire moyen de leurs employés.
Une occasion à ne pas rater
Le CA de Bombardier a une occasion rêvée de mettre de l’ordre dans sa structure de rémunération pour plusieurs raisons :
- La société se relève d’une restructuration financière qui a failli l’emporter.
- Éric Martel arrive d’Hydro-Québec, où sa rémunération est beaucoup plus raisonnable.
- La modération en la matière indiquerait que Bombardier se soucie des très lourdes pertes subies par des dizaines de milliers de petits actionnaires.
- L’occasion est belle de casser le système de rémunération hautement inflationniste, arbitraire et inéquitable qui s’est installé dans les grandes sociétés inscrites en Bourse.
L’Europe est beaucoup plus proactive que l’Amérique dans le contrôle des rémunérations des hauts dirigeants des grandes sociétés. Et comme il n’y a rien à espérer des États-Unis où le capitalisme pur et dur fait de plus en plus de ravages, Bombardier, en tant qu’entreprise canadienne basée à Montréal, pourrait montrer que ce système abusif peut être cassé et opter pour une rémunération plus conforme aux valeurs de notre société et plus respectueuse de ses employés et actionnaires.
Si l’actuel CA de Bombardier ne comprend pas cela, je crains que ce soit peine perdue de briser le cercle vicieux de la rémunération des hauts dirigeants des grandes sociétés.
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N.D.L.R. Dans ce blogue, Jean-Paul Gagné* traite de défis et d’enjeux de gouvernance. Il s’inspire d’événements d’actualité ou encore de situations courantes relatives à la gouvernance. Il en tire des leçons et des pratiques inspirantes.
* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l’ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)
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