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ANALYSE. Parfois, les bonnes intentions peuvent être difficiles à mettre en action. L’acronyme ESG, qui décrit l’investissement tenant compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, est un terme des plus communs dans le vocabulaire financier. Pourtant, faire ses premiers pas en investissement responsable est plus complexe qu’on pourrait le croire.
Un investisseur autonome qui choisit ses titres individuellement peut aisément adopter quelques grandes lignes, comme l’exclusion des titres pétroliers ou des fabricants de cigarettes. Aller plus loin demande toutefois d’importantes recherches et peut nécessiter une expertise très pointue qui n’est pas à la portée de tous.
À vrai dire, même les experts peinent à s’y retrouver, comme le démontre un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié cet automne. «Les fiduciaires comme les gestionnaires de portefeuille et les conseils d’administration devraient gérer les risques ESG matériels dans une optique de création de valeur à long terme, mais ils ne reçoivent pas nécessairement les données et les informations qui leur permettraient de le faire.»La principale difficulté est attribuable aux critères utilisés pour émettre un jugement sur les pratiques des entreprises, sous un angle ESG. La plupart des investisseurs institutionnels vont se fier aux conclusions de firmes externes. Or, l’OCDE estime que les méthodologies employées manquent de standardisation et de transparence.
En regardant de plus près les différentes approches, l’organisme a trouvé des inconsistances dans les notes ESG accordées aux entreprises par les principales firmes. Leur recherche a démontré que les notes pour les critères environnementaux et les émissions de carbone étaient grandement variables d’une firme à l’autre. «Dans certains cas, une bonne note pour les critères environnementaux était corrélée avec des émissions élevées, en raison de différents facteurs et du poids de chacun de ses facteurs.»Cette conclusion n’est pas unique à l’OCDE. Dans un autre rapport, la firme Morningstar pointe du doigt les émetteurs (c’est-à-dire les sociétés cotées en Bourse). Il note que les informations publiées par les entreprises sont «trop souvent inconsistantes et impossibles à comparer et l’information susceptible d’avoir un impact notable n’est pas toujours disponible.» Ce problème est important, car il brouille la compréhension que nous avons de l’investissement responsable. Par exemple, bien des études affirment qu’à long terme, les critères ESG ne nuisent pas au rendement et seraient même un facteur de surperformance. C’est probablement vrai, mais l’OCDE tempère quelque peu ces affirmations, sans nécessairement les démentir. En fait, comme les mesures employées demeurent inconsistantes, il est impossible d’avoir une idée claire de la différence qu’apporte un filtre ESG (car la nature de ces filtres varie d’une étude à l’autre).
Ce rapport ne doit pas être vu comme un prétexte pour ignorer les principes ESG. Au contraire, «si on ne s’occupe pas de ce problème, la confiance des investisseurs pourrait s’en ressentir», plaide l’OCDE.
C’est ce que tentent de faire différents orga-nismes. Le CFA Institute, par exemple, a présenté des propositions de critères à respecter pour les informations ESG dévoilées par les entreprises. L’organisme mène une consultation et devrait fournir un rapport en mai 2021. L’Union européenne travaille aussi à développer des mesures communes par son rapport sur la taxonomie verte. Les gouvernements, les associations professionnelles et les entreprises devront toutefois continuer d’alimenter la réflexion pour corriger les lacunes constatées par l’OCDE pour accroître les chances que les bonnes intentions se traduisent en résultats.
Faire ses devoirs
En attendant, l’investisseur averti doit faire ses propres vérifications dans la mesure de ses capacités. Il est vrai que certains critères sont trop complexes pour le commun des mortels et nous n’avons pas le choix de nous en remettre au bon jugement des experts. Par contre, il reste encore des décisions importantes sur lequel un investisseur autonome peut avoir une emprise.
L’un des exemples les plus concrets est la présence des pétrolières dans les fonds ESG. Il ne s’agit pas d’un débat nouveau pour ceux qui s’intéressent à la question. Certains pensent que la transition énergétique représente un risque économique trop grand et qu’il faut éviter les pétrolières. D’autres diront qu’en choisissant les meilleurs d’un secteur – même dans l’industrie des énergies fossiles –, on encourage les acteurs de l’industrie à être plus efficaces, à réduire leurs émissions.
Les deux arguments ont leur mérite. Reste que pour les non-initiés, apprendre que des pétrolières se trouvent dans leur fonds ESG peut constituer une mauvaise surprise. Ce n’est pourtant pas une exception lorsqu’on regarde les produits offerts par les plus importants fournisseurs de FNB canadiens. Par exemple, le iShares Aware MSCI Canada (XESG, 19,54 $) et le BMO Canada ESG Leaders (ESGA, 27,83 $) ont des actions de Suncor (SU, 15,62 $) et d’Enbridge (ENB, 36,55 $) en portefeuille, notamment.
Ce choix peut se défendre, notamment pour assurer une diversification similaire à l’indice canadien. Il n’est toutefois pas une fatalité. D’autres fonds s’écartent entièrement de ce secteur. Une simple vérification sur le site Internet des fournisseurs de fonds permet généralement d’avoir les informations pertinentes à ce sujet.
Malgré les lacunes mises à jour par l’OCDE, les fonds ESG qui recourent à ces méthodologies sont probablement l’une des manières les plus simples d’adopter l’investissement responsable. Reste que l’investisseur doit toujours faire une partie du travail avant de le déléguer. L’estampe ESG n’est pas une garantie que vous aurez ce que vous souhaitez, peu importe l’approche que vous privilégiez.