La dégradation du climat social actuellement au Québec s’inscrit aussi dans une conjoncture mondiale, du moins dans les pays occidentaux. (Photo: Jason Leung pour Unsplash)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. Intimidation, vandalisme, menaces de mort, renforcement de la sécurité autour des élus… Le début de la campagne électorale au Québec a révélé une dégradation du climat social. Et si nous n’arrivions pas à renverser cette tendance, le Québec pourrait bien devenir un jour une société fragmentée, polarisée et instable.
Comment pouvons-nous relever le défi de restaurer un climat social plus sain et harmonieux au Québec? Chose certaine, il n’y aura pas de solution miracle. Il faudra ratisser large, afin d’éviter les angles morts et les idées simplistes.
Le bien-être collectif devra (re)devenir une obsession.
Aussi, une promesse électorale faite par trois partis — les caquistes, les libéraux et les conservateurs — semble d’ores et déjà une bien mauvaise idée dans la conjoncture : réduire les impôts.
C’est mathématique et une logique économique: réduire les impôts, c’est réduire les services à la population.
On ne s’en sort pas.
J’entends déjà certaines levées de boucliers: comment peut-on s’opposer à des baisses d’impôt, alors que tout coûte cher?
Pour autant, il y a une logique économique derrière ce raisonnement.
C’est même dans l’intérêt des entreprises!
Je m’explique en faisant un retour en arrière.
Ce n’est pas la première fois que la société québécoise affronte des turbulences. Les années 1960 et la Crise d’octobre au Québec n’ont pas été de tout repos.
Mais cette période s’inscrivait dans un contexte mondial, soit les luttes de libération nationale aux quatre coins de la planète, l’opposition à la guerre du Vietnam aux États-Unis et la contestation de l’autorité, comme en France avec Mai 68.
Les causes de la dégradation du climat social
La dégradation du climat social actuellement au Québec s’inscrit aussi dans une conjoncture mondiale, du moins dans les pays occidentaux.
Depuis la grande récession de 2008-2009, on assiste à la montée des populismes de gauche et de droite, sur fond de désintérêt des partis politiques traditionnels pour les classes défavorisées et minoritaires.
Aux États-Unis, cette grogne populaire a culminé avec l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016.
Puis est arrivée la terrible pandémie de COVID-19, qui a bouleversé l’économie et les liens sociaux, malgré les généreux programmes d’aide des gouvernements.
Et on n’est pas sorti de l’auberge!
Une méfiance et une grogne se sont tranquillement installées dans la société, que les réseaux alimentent en mettant en contact des citoyens en colère partageant les mêmes opinions (complotisme, mouvement antivaccin, etc.)
Soyons clair: aucune condition économique ou sociale ne justifie que l’on menace des femmes et des hommes politiques au Québec ou ailleurs dans le monde.
Aucune.
Essayer de comprendre un phénomène n’est pas le justifier, la nuance est importante.
Reculons encore davantage dans l’histoire, question de se donner une meilleure perspective et mieux comprendre pourquoi ce n’est pas le bon moment de réduire actuellement les impôts au Québec.
Vous pensez que nous vivons une période instable?
Nous n’avons rien vu comparativement à ceux et à celles qui ont vécu entre 1914 et 1945.
En trois décennies, ces gens ont vécu la Première Guerre mondiale (1914-1918), la grippe espagnole (1918-1920), la Dépression économique des années 1930, la montée de trois idéologies meurtrières — le stalinisme, le fascisme et le nazisme — et la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).
En 1945, alors que l’Europe était en ruine, les leaders politiques d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord se sont dit: plus jamais!
Explosion des programmes sociaux après 1945
Savez-vous ce que les gouvernements ont alors fait pour restaurer la paix sociale et stabiliser les sociétés ébranlées par trois décennies de guerres et de turbulences économiques, politiques et sociales?
Eh bien, ils n’ont pas baissé les impôts…
Bien au contraire, les gouvernements les ont augmentés — surtout pour les riches — pour créer des programmes sociaux et un filet de sécurité sociale, et ce, afin que tout le monde ait les mêmes services, peu importe leurs conditions sociales et économiques.
Les taux marginaux d’imposition sur le revenu ont même dépassé les 80% dans les années 1950 et 1960 au Royaume-Uni et aux États-Unis (le bastion du capitalisme moderne), selon les travaux de l’économiste français Thomas Piketty.
Au Canada, le taux d’imposition sur le revenu marginal combiné (fédéral et provincial) a atteint un sommet de 84% en 1949. Et en 1971, il s’élevait encore à 80%, selon la Revue fiscale canadienne.
C’était la construction de l’État-providence ou l’État social-démocrate.
Et vous savez quoi?
Les décennies de l’après-guerre ont été sans doute été les plus prospères de l’histoire du Québec et de l’Occident. En France, on a même nommé cette période les «Trente Glorieuses».
Bien entendu, ce que nous vivons au Québec actuellement en ce début de campagne électorale n’a rien à voir avec le traumatisme de la période 1914-1945.
Pour autant, il y a une leçon à tirer de la sagesse de la classe politique de l’après-guerre: la paix sociale et la stabilité politique ne tombent pas du ciel.
Elles se construisent en favorisant le bien-être collectif.
En s’assurant que tout un chacun ait accès à des services publics de qualité, et ce, de l’école à la santé (physique et mentale) à la sécurité alimentaire. Que personne ne s’appauvrisse parce qu’il a perdu son emploi ou qu’un proche tombe malade.
Et cela passe par l’impôt.
Certes, l’impôt n’est pas une panacée, et ne règle pas tout.
Les partis politiques devront aussi être plus à l’écoute de toutes les classes sociales.
Toutes.
Cela dit, l’impôt est certainement une condition gagnante pour avoir un climat social sein et une stabilité politique dans une société.
C’est la raison pour laquelle il faut préserver cet outil de politiques publiques en période trouble.
Et ça, c’est dans aussi l’intérêt économique des entreprises québécoises.