On a beau dire que les travailleurs ont le gros bout du bâton, le moindre signe de ralentissement économique révèle leur vulnérabilité. (Photo: 123RF)
BILLET. Si vous êtes coincé dans une discussion ennuyeuse à un événement d’affaires, je vous mets au défi de lancer le mot «syndicat» dans une de vos interventions. La réaction est presque épidermique! Je vous garantis que rien ne lance un débat enflammé plus vite, chacun rivalisant d’anecdotes pour démontrer que les organisations syndicales nuisent plus qu’elles n’aident. Après avoir incarné les avancées sociales, elles en sont venues à représenter dans la conscience collective le protectionnisme des avantages de leurs membres à n’importe quel prix.
Partageant moi-même ma vie avec quelqu’un travaillant dans la fonction publique, je suis aux premières loges des hauts et des bas du quotidien d’une personne syndiquée. Le constat est implacable: même pour ceux qui devraient être les premiers à bénéficier de leur protection, c’est loin d’être la panacée.
Alors, plus pertinents à l’ère de la pénurie de main-d’œuvre, les syndicats? Cela reste à voir! On a beau dire que les travailleurs ont le gros bout du bâton, le moindre signe de ralentissement économique révèle leur vulnérabilité. Malgré les hausses de salaire et les nombreux avantages sociaux acquis ces dernières années, la hausse vertigineuse du coût de la vie les affecte violemment. L’anxiété financière est à son comble et l’insécurité alimentaire touche même des personnes gagnant un bon salaire.
Cela dit, cette inquiétude pèse aussi bien sur le salariat que sur le patronat. La confiance des propriétaires de PME est au plus bas, comme le révèle le Baromètre des affairesmd de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, sorti début octobre. Un chef d’entreprise sur deux déclare que les coûts d’emprunt pèsent lourdement sur ses activités, et pour plus de 60% d’entre eux, la hausse des coûts les écrase, ce qui affecte leur santé mentale.
Pendant ce temps, les banques centrales s’entêtent à monter les taux d’intérêt, puisque c’est le seul outil à leur disposition pour freiner l’inflation. Et ce, malgré son inefficacité avérée puisque celle-ci ne repose pas, comme c’était le cas historiquement, sur la consommation. Cet acharnement va nous faire basculer en récession, entraînant encore plus de détresse . Une réalité dont est d’ailleurs parfaitement conscient l’inflexible président de la Fed, comme il le révélait lui-même l’été dernier, mais qu’il semble juger comme un mal nécessaire.
On semble avoir oublié que derrière les chiffres, il y a des humains. L’économie, ce n’est que la somme de réalisations, de décisions ou de moments de vie mis bout à bout. Mettre de l’avant les visages qui la composent est d’ailleurs ce qui m’a attirée dans le journalisme économique et qui continue de me passionner après toutes ces années.
L’économie doit être au service des gens, et non pas l’inverse. Mettre le bien-être des personnes au cœur de nos décisions est la meilleure façon de préparer les grands bouleversements qui nous attendent.
En seulement trois ans, nous avons vécu une pandémie, l’invasion de l’Ukraine et une inflation galopante qui ont remis en cause les fondements mêmes de l’ordre économique et de l’échiquier géopolitique tels que nous les connaissions depuis au moins un demi-siècle. Pas besoin de boule de cristal pour deviner qu’à l’avenir, d’autres phénomènes vont déstabiliser nos modes de vie. La crise climatique est déjà là et les dérèglements dramatiques qu’elle va engendrer ne feront que s’accélérer. L’intelligence artificielle va transformer autant nos façons de travailler que nos emplois, exigeant une adaptation sans précédent.
Face à ces grandes perturbations, nous serons tous dans le même bateau et nous aurons intérêt à ramer dans la même direction. Nous aurons besoin des personnes qui nous dirigent qu’elles fassent preuve de vision, de courage et d’ouverture tandis qu’elles avancent à tâtons à la recherche de réponses inédites vers ce monde nouveau qui nous attend.
Est-ce que ce sera suffisant pour faire face à la révolution qui attend l’économie de demain? Seul l’avenir nous le dira…
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
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@marinethomas