L'École de technologie supérieure a nommé son nouveau programme de chaires de recherche en génie en hommage à Marcelle Gauvreau. (Photo: Jean Gagnon pour Creative Commons)
MOIS DU GÉNIE. Ce n’est pas par hasard que l’École de technologie supérieure (ETS) a nommé son nouveau programme de chaires de recherche en génie en hommage à Marcelle Gauvreau (1907-1968).
Première scientifique canadienne-française à obtenir un diplôme de maîtrise, la spécialiste des algues marines du fleuve et de l’embouchure du Saint-Laurent a dû faire sa place dans un monde hostile aux femmes tout au long de ses études, puis de sa carrière.
« Son parcours a été parsemé de défis et d’obstacles. Cela ne l’a pas empêchée de faire de la recherche et de contribuer à l’avancement des sciences naturelles au Québec, notamment par son étroite collaboration aux travaux du frère Marie-Victorin », explique Ghyslain Gagnon, chercheur en génie électrique et doyen de la recherche à l’ETS. On doit à Marcelle Gauvreau l’élaboration du glossaire et de l’index de la célèbre « Flore laurentienne », parue en 1935.
De fait, la détermination et la résilience sont centrales dans les critères pris en compte par l’ETS pour l’attribution de ces 10 nouvelles chaires de recherche en génie. Concrètement, cela signifie que 40 % de l’évaluation des candidatures repose sur ces seules notions de persévérance et de capacité à rebondir. L’excellence en recherche et le mérite de la proposition du programme de recherche comblent les 60 % restant, à raison de 30 % chacun.
Par ce programme, l’ETS souhaite diversifier son corps professoral sans recourir à une forme de discrimination positive. « Plusieurs nous ont reproché de remettre un prix de consolation ; rien n’est pourtant plus faux ! Au contraire, il a été démontré que d’être confronté à l’adversité développe la capacité à rebondir à la suite d’échecs, ce qui est corrélé à de meilleures performances à long terme », fait valoir Ghyslain Gagnon.
Les cinq premiers titulaires, tous issus de l’ETS, ont été sélectionnés en décembre dernier. Julien Gascon-Samson (génie logiciel et des technologies de l’information), Martine Dubé (génie mécanique), Bora Ung (génie électrique), Annie Poulin (génie de la construction) et Nicola Hagemeister (génie des systèmes) bénéficieront chacun d’une somme annuelle de 100 000 $ pendant cinq ans pour mener à bien leurs recherches. Comme les dossiers ont été traités de manière confidentielle, il est impossible de savoir ce qui a poussé le comité de sélection à privilégier ces candidats.
Les cinq autres chaires du programme Marcelle-Gauvreau seront attribuées au cours des prochains mois à des chercheurs provenant d’ailleurs que l’ETS.
Recherche de plus en plus appliquée
Un réel changement des mentalités est en train de s’opérer dans le monde de la recherche en génie. Plus seulement méritoire, mais aussi équitable, diversifiée et inclusive, celle-ci fait sans cesse plus de place aux partenariats avec le milieu industriel. Ainsi, les chercheurs doivent plus que jamais démontrer leur capacité à générer un rendement de l’investissement pour obtenir du financement de la part des organismes subventionnaires, et ce, dans toutes les branches de la discipline.
« Un projet financé à hauteur de dizaines de millions dollars (M$) doit vite générer des retombées. On voyait peu ça il y a 10 ans, et encore moins au début de ma carrière », raconte Vincent Martin, professeur de biologie et titulaire de la Chaire de recherche de l’Université Concordia en génie microbien et en biologie synthétique. Récemment, lui et ses collaborateurs ont d’ailleurs reçu un total de 5,1 M$ en fonds publics et privés pour soutenir leurs recherches de pointe en génie génomique.
L’accélération du rythme de la recherche n’est pas étrangère à l’avancée rapide et soutenue des technologies. « Au moment de mon doctorat, au milieu des années 1990, on ne pouvait même pas séquencer un génome. Aujourd’hui, grâce au séquençage rapide, c’est une question de quelques minutes ou de quelques heures avant d’obtenir un profil génétique complet », souligne le professeur qui, pour soutenir ce rythme, a dû développer des compétences de chef d’entreprise. « Je dirige carrément une PME de 20 employés », assure Vincent Martin.
Les universités sont partie prenante de ces métamorphoses. En 2012, l’Université de Sherbrooke a par exemple inauguré une entité consacrée au transfert de nouvelles technologies des laboratoires vers des applications industrielles : l’Institut interdisciplinaire d’innovation technologique (3IT). Des scientifiques de tous les horizons y collaborent depuis, dans le but de « créer des solutions technologiques d’impact », peut-on lire sur le site web du 3IT.
« C’est cette volonté d’innover qui m’a amené à poursuivre ma carrière ici », témoigne Luc Fréchette, directeur scientifique du 3IT et cotitulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG-Teledyne DALSA en MEMS [microsystèmes électromécaniques] et microphotonique de prochaine génération, attribuée l’automne dernier.
« Au-delà des seules retombées économiques, nous formons des étudiants dans des domaines d’avenir, rappelle Luc Fréchette. La plupart de ces chercheurs de demain intègrent ensuite l’industrie, où ils innovent à leur tour. »