Plus que jamais, l'ingénieur doit savoir travailler en équipe. (Photo: 123RF)
MOIS DU GÉNIE. Lorsqu’ils entrent sur le marché du travail, les jeunes ingénieurs s’étonnent souvent de l’étendue des compétences non techniques qu’ils doivent démontrer. Les relations interpersonnelles, l’intelligence émotionnelle et le savoir-être occupent en effet une place méconnue dans cette profession.
« Le cliché de l’ingénieur cartésien et cérébral a la vie dure, déplore Kathy Baig, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, il doit savoir travailler en équipe, communiquer et faire preuve de créativité. Cela traduit une méconnaissance du métier auprès du grand public. »
Cette incompréhension s’étend d’ailleurs aussi à plusieurs étudiants, selon Mathieu Nuth, professeur agrégé et vice-doyen adjoint à l’agrément de la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke (UdeS). « Les étudiants sont souvent surpris d’apprendre qu’ils vont étudier la communication dans certains cours du programme, illustre-t-il. Ce n’est pas pour cela qu’ils se sont inscrits en génie au départ. »
L’UdeS n’a pas eu le choix d’intensifier l’enseignement des compétences transversales liées aux relations interpersonnelles, à la communication et au savoir-être, car ses programmes sont tous agréés par Ingénieurs Canada. Cette agrégation permet aux étudiants qui décrochent un diplôme d’obtenir un permis d’exercice auprès des organismes de réglementation nationaux du génie. « Or, en 2014, Ingénieurs Canada a ajouté ces compétences non techniques aux exigences de formation et demande que l’on démontre que notre enseignement favorise ces apprentissages », explique Mathieu Nuth.
La plupart des programmes de génie de premier cycle au Québec détiennent cet agrément.
Nadia Lehoux, directrice du programme de premier cycle en génie industriel à l’Université Laval (Photo: courtoisie)
Naviguer dans des milieux complexes
Pourquoi les ingénieurs doivent-ils maîtriser tout un éventail de compétences non techniques ? « Dans son travail, l’ingénieur peut se voir appelé à interagir avec d’autres ingénieurs, mais aussi avec plein de gens qui n’ont pas étudié en génie et qui peuvent travailler, par exemple, en marketing, en ventes ou en recherche et développement, répond Nadia Lehoux, directrice du programme de premier cycle en génie industriel à l’Université Laval. Ils peuvent être des collègues, des fournisseurs ou encore des clients. Il est donc crucial de savoir bien communiquer, collaborer en équipe et exercer un leadership. »
Si elle constitue une richesse, la plus grande diversité des équipes de travail pose également des défis. Les compétences de communication et d’écoute comptent pour beaucoup lorsqu’on travaille au sein d’une équipe composée de personnes d’âge, de genre, de profils scolaires ou d’origine ethnoculturelle différents. Par ailleurs, les milieux d’intervention peuvent varier beaucoup. L’approche ne sera pas la même selon qu’on mène un projet dans une usine, une école, un hôpital ou un couvent de religieuses.
C’est d’autant plus vrai que les organisations et les entreprises se complexifient et se transforment. « La gestion du changement prendra une importance grandissante au cours des prochaines décennies, affirme Kathy Baig. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, de la numérisation de l’économie et de l’automatisation de plusieurs procédés, l’ingénieur devra faire preuve d’une forte capacité d’adaptation et d’actualisation de ses connaissances. »
Poursuivre l’effort
Nadia Lehoux note que bien que les professeurs s’efforcent d’enseigner davantage ces compétences à l’université, c’est souvent lors des stages que la réalité frappe. Elle donne l’exemple d’étudiants en génie qui se retrouvent à travailler à des projets d’amélioration continue dans une entreprise, ce qui est assez courant en génie industriel. « Quand un jeune au début de la vingtaine doit dire à un travailleur qui a 25 ans d’expérience qu’il doit changer sa méthode de travail, il n’est pas toujours bien reçu, raconte-t-elle. C’est là qu’il comprend qu’il n’y a pas que la connaissance technique qui compte, mais aussi la capacité à bien l’expliquer et à savoir convaincre. »
À l’UdeS, Mathieu Nuth souligne que le développement de ces compétences non techniques passe à la fois par une sensibilisation des étudiants à leur importance et par des activités d’enseignement. « Au départ, nous-mêmes étions déstabilisés par l’enseignement de compétences qui ne sont pas directement liées aux connaissances techniques en génie, admet-il. Nous nous sommes outillés et nous enseignons maintenant un éventail de connaissances beaucoup plus large. »
Il voit par ailleurs cette évolution comme une suite logique aux réformes des systèmes éducatifs primaire et secondaire. « Ces réformes ont mis l’accent sur les compétences transversales et des évaluations plus qualitatives que quantitatives ; c’est seulement normal que ça se poursuive à l’université », croit-il.
De son côté, Kathy Baig souhaite que les universités agrandissent encore plus la place accordée aux compétences non techniques dans le cursus des futurs ingénieurs. « Cette question fait l’objet de discussions entre l’OIQ et les facultés de génie québécoises », indique-t-elle.