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Exercer le droit dans un climat d’incertitude

Jean-François Venne|Édition de la mi‑mai 2023

Exercer le droit dans un climat d’incertitude

Me Karl Tabbakh, associé directeur pour le Québec du cabinet McCarthy Tétrault, explique que la hausse des taux d’intérêt a contribué à la baisse du nombre de fusions et acquisitions. (Photo: courtoisie)

GRANDS DU DROIT. Les horizons financiers et géopolitiques se sont assombris en 2022, créant beaucoup d’incertitude parmi les clients des grands cabinets d’avocats. Cela a réduit presque à néant certaines sources de revenus, tout en ouvrant de nouvelles perspectives.

L’inflation a eu une grosse incidence sur le marché, notamment en faisant augmenter les coûts d’exploitation d’un peu toutes les organisations. « On l’a senti chez nous aussi, puisque l’inflation applique une pression à la hausse sur les rémunérations des professionnels et de l’ensemble du personnel », confie Me Gina Doucet, avocate associée et directrice exécutive de la pratique professionnelle chez Cain Lamarre. 

Rappelons que la remontée des prix a été continuelle depuis environ la mi-2021. Au Canada, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a progressé de 3,4 % en 2021 et de 6,8 % en 2022, un sommet depuis le début des années 1980. De leur côté, les prix de l’énergie ont grimpé de 22,5 % en 2022, dopés notamment par des baisses de quotas de production de l’OPEP+ et des sanctions sur le pétrole russe et iranien, au moment où la demande reste forte.

 

Les taux d’intérêt remontent 

Le réveil de l’inflation a amené la Banque du Canada à augmenter son principal taux directeur huit fois de suite entre mars 2022 et janvier 2023, pour le faire passer de 0,25 % à 4,50 %. « Le retour de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt ont refroidi les ardeurs dans le secteur immobilier, où les promoteurs retardent ou repensent certains projets, souligne Me Doucet. Ce contexte a aussi marqué une augmentation du nombre de dossiers d’insolvabilité, notamment en raison de la fin des aides gouvernementales liées à la pandémie. » 

Me Karl Tabbakh, associé directeur pour le Québec du cabinet McCarthy Tétrault, explique que la hausse des taux d’intérêt a contribué à la baisse du nombre de fusions et acquisitions. « La faible disponibilité de la dette, en particulier aux États-Unis, et l’augmentation du coût de service de la dette ont nettement refroidi ce marché », indique-t-il. La firme PwC a recensé 2338 transactions de ce type en 2022 au Canada, comparativement à 3055 l’année précédente.

 

Un monde sous tension 

Le contexte géopolitique n’offre pas beaucoup de répit non plus. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, a été suivie par une flopée de sanctions économiques visant à réduire les occasions commerciales, et donc les rentrées d’argent, du régime au pouvoir à Moscou. 

« Même [les entreprises] qui ne font pas affaire directement en Russie peuvent être affectées en raison de l’activité dans ce pays de certains de leurs partenaires commerciaux, souligne Me Pierre Allard, associé directeur de BCF Avocats d’affaires. Il y a beaucoup de zones grises pour ces entreprises. » 

La situation était compliquée aussi pour les sociétés qui avaient des activités de production en Russie et qui souhaitaient quitter rapidement ce pays. Comment, par exemple, rapatrier les stocks dans un contexte où les systèmes de transport russes étaient en grande partie réservés à l’acheminement de troupes et de matériel de guerre vers l’Ukraine ? « Les entreprises peinaient également à se faire payer par leurs clients russes, car les institutions financières refusaient de toucher à des transactions financières impliquant des entités russes », ajoute l’avocate associée de BCF, Me Julie Doré. 

Ces questionnements sur l’effet de la guerre en Ukraine ont tenu l’équipe de sanctions et de règlements de McCarthy Tétrault très occupée en 2022. « L’impact de la géopolitique sur les entreprises est beaucoup plus grand et direct qu’il y a quelques années, affirme Me Tabbakh. Nous devons être branchés au quotidien sur ces événements mondiaux qui sont hors de notre contrôle, mais qui peuvent avoir des incidences majeures sur nous et nos clients. » 

Même son de cloche chez Fasken. L’associé directeur pour le Québec, Me Éric Bédard, estime que la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis créent énormément d’incertitudes sur les marchés financiers. Cela affecte bien entendu le cabinet. « Par exemple, nous avions plusieurs premiers appels publics à l’épargne (PAPE) en cours avant l’invasion de l’Ukraine, en février 2022, mais ce genre de transaction est devenu très rare par la suite », explique-t-il. Au Canada, le nombre de PAPE a chuté presque de moitié en 2022 par rapport à l’année précédente, et le total des capitaux amassés par ces opérations a fondu de presque 80 %, selon les données du groupe TMX. Aux États-Unis, les entreprises ont levé 96 % moins d’argent par la voie des PAPE en 2022 qu’en 2021, d’après la firme Refinitiv.

Malgré tout, l’économie québécoise a continué d’afficher sa résilience en 2022 et même depuis le début de 2023. Me Karl Tabbakh croit qu’un ralentissement économique pourrait tout de même survenir, avec une reprise dès décembre.