«Ces gestes d'emblée semblent banals, mais assurent le succès des entreprises.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Parfois, je crois qu’on a perdu de vue l’essentiel en matière d’expérience employé qui, comme disait l’autre, est invisible pour les yeux.
C’est l’un des constats que j’ai faits lors de mon dernier passage à la conférence sur l’expérience-employé organisée par les Événements Les Affaires. Certains propos entendus au fil de cette journée fort intéressante m’ont fait réfléchir – c’était le but de l’exercice! – alors que d’autres m’ont laissé, comment dire, perplexe.
Oui, le télétravail est difficile à accepter et à opérer au quotidien par plusieurs gestionnaires qui doivent s’adapter à la nouvelle réalité post-pandémique. Oui, certaines entreprises ont investi une fortune dans de magnifiques locaux juste avant la crise sanitaire et se retrouvent aujourd’hui avec des bureaux vides 90% du temps et ne savent trop comment y ramener leurs employés. Parlez-en à Apple! Oui, organiser des activités pour ramener le monde au bureau, ne serait-ce qu’une fois par semaine permet aux gens de socialiser et de mieux se connaitre.
Oui, l’accommodement qui permet à des employés de télétravailler le temps d’un voyage à l’étranger est apprécié des gens – encore faut-il penser au décalage horaire (!). Oui, les horaires flexibles sont souhaités et souhaitables, notamment pour ceux qui ont de jeunes enfants et qui de surcroit doivent subir ces temps-ci des grèves dans les écoles. Bref, oui, on veut accommoder les employés des générations des milléniaux, des Z et en j’en passe. Tout cela est vrai. Tout cela est important.
Le hic, c’est que ces initiatives étincelantes semblent nous faire perdre de vue ce que mon ami Michael Carpentier, conseiller eCommerce et marketing B2C, appelle les «affaires plates». Ces gestes qui d’emblée semblent banals, mais qui assurent le succès des entreprises. Et dans ma perspective, ce sont les gestes qui permettent aux organisations de réussir, d’attirer et de fidéliser des employés et des clients. La base, quoi!
La base ou les affaires plates
Parlons donc de cette base invisible, telle la fondation d’une maison qui en assure la stabilité. Parlons de ces affaires plates dont personne ne veut justement parler parce qu’elles sont plates. Ce sont d’ailleurs celles qui posent le plus souvent problème lorsque je réalise des diagnostics en matière d’expérience client/employé dans les entreprises.
1. Bien définir les rôles et responsabilités des employés pour qu’ils connaissent la portée de leurs tâches et ce qui leur est imputable.
2. Revoir les processus et éliminer ceux qui sont obsolètes pour être plus efficient.
3. Documenter les façons de faire dans un manuel d’opération (le «playbook») pour assurer une cohérence dans la prestation de services.
4. Former les employés au savoir-faire (connaissance des produits, des services, des processus) et au savoir-être (attitude, bienséance, gestes à poser et à éviter) pour qu’ils se sentent compétents.
5. Doter les employés d’outils (systèmes informatiques, terminaux de commande et de paiement, etc.) pour qu’ils soutiennent réellement leurs tâches au lieu d’être source d’irritation et de ralentissement au quotidien.
6. Aménager les espaces de travail pour qu’ils permettent non seulement d’y accomplir le travail, mais qu’ils soient aussi un facilitant. Il est ridicule, non efficient et illogique, de demander à un employé de venir faire du temps dans un bureau à aire ouverte – où tout un chacun entend les bruits de l’autre – pour passer sa journée en rencontres Teams. Si l’on veut inciter les employés à revenir travailler au bureau, encore faudrait-il prévoir des aires de concentration (mais je demande bien pourquoi parce que ce travail, justement, pourrait être accompli en toute quiétude à la maison), de collaboration et de socialisation. C’est bien beau le modèle de la réservation de bureau («hotelling»), mais encore faut-il qu’il soit réfléchi un tant soit peu.
Les rôles et responsabilités, les processus, la formation, les systèmes informatiques, l’aménagement des aires de travail, rien de tout cela ou presque, n’est sexy ou excitant, mais cela est la base de toute entreprise. Sans cette base, vos chances de réussite, voire de survie, sont plutôt minces. Cela s’applique aussi aux organismes gouvernementaux. Certes, ils n’ont pas d’objectifs de vente à atteindre. Cependant, ils doivent être plus efficients pour ne pas crouler sous le volume des demandes à traiter et assurer le service auquel le citoyen est en droit de s’attendre.
La poudre aux yeux
Que font les organisations qui ne savent pas quoi faire, paniquées parce qu’elles perdent des employés? Elles font ce qu’elles peuvent, et je compatis, pour tenter d’attirer des candidats et de garder leurs employés en jetant parfois de la poudre aux yeux.
Repas gratuits, tracances (combinaison travail-vacances), activités sociales mobilisatrices, bureaux décorés de couleurs vives pour être «instagrammables» semblent être à la mode, mais cela fonctionne-t-il vraiment sur le long terme? Est-ce suffisant pour attirer et garder des employés? Permettez-moi d’en douter.
Si les besoins de base de l’employé ne sont pas satisfaits, s’il ne se sent pas compétent parce qu’il n’a pas la formation ni les outils pour accomplir son travail, si son patron contrôle ses moindres faits et gestes et ne lui fait pas vraiment confiance, s’il ne ressent pas d’appartenance à son entreprise, tous ces efforts seront vains.
C’est exactement la même chose du côté de l’expérience client. Plusieurs entreprises ont voulu faire un «wow» auprès des clients en investissant temps et argent dans des initiatives qui fonctionnent quelques semaines ou mois si elles ont de la chance.
C’est un peu comme cette boisson énergisante qui donne un surplus d’énergie, mais dont l’effet s’estompe rapidement. Comme je me plais à le (re)dire lors de mes conférences, lorsque j’entre dans une chambre d’hôtel et que le plancher est sale, que le lit est mal fait, que la propreté de la salle de bain est douteuse, je n’y dormirai pas même si un clown chantant arrivait avec des confettis et une bouteille de champagne pour m’impressionner. On revient aux affaires plates, on revient à la base. Dans un hôtel, ce sont des draps propres. Un plancher lavé. Une salle de bain immaculée. Rien de cela n’est excitant, mais c’est la base. L’oublier mène inéluctablement à l’échec.
Et pourtant, tout cela est connu depuis des années
Déjà en 2008, des chercheurs de l’Université Harvard écrivaient dans ce texte que «les entreprises offrant un service exceptionnel comprennent que dans la nouvelle économie du service, les travailleurs de première ligne et les clients doivent être au centre des préoccupations de la direction.» On y apprend aussi que pour réussir, les entreprises doivent porter une attention toute particulière aux facteurs de rentabilité que sont l’investissement dans les ressources humaines, les technologies qui soutiennent les travailleurs, l’adoption de pratiques de recrutement et de formation repensées et la rémunération liée à la performance des employés à tous les niveaux.
Une autre conclusion de cette publication est qu’une bonne expérience employé contribue à une bonne expérience client. Il me semble avoir déjà entendu ce propos quelque part! Ce schéma illustre les conséquences d’une mauvaise expérience employé sur l’expérience client.
Comprenez-moi bien. Je n’ai rien contre les initiatives qui visent à procurer une bonne expérience employé, au contraire. Je n’ai rien non plus contre l’expérimentation d’une mesure pour attirer et fidéliser les employés. Mais je crois sincèrement que l’on devrait s’attarder à la base, aux affaires plates avant toute chose.
Abonnez-vous gratuitement aux infolettres de Les Affaires et suivez l’actualité économique et financière au Québec et à l’international, directement livrée dans votre boîte courriel.
Avec nos trois infolettres quotidiennes, envoyées le matin, le midi et le soir, restez au fait des soubresauts de la Bourse, des nouvelles du jour et retrouvez les billets d’opinion de nos experts invités qui soulèvent les enjeux qui préoccupent la communauté des affaires.