Exportations du Québec: l’explosion ne date pas du libre-échange
François Normand|Édition de février 2024Au début des années 1900, de nouvelles industries se développent dans les régions du Québec. Sur la carte postale, Montréal en 1902. (Photo: Library of Congress, Copyright 1902 by Detroit Photographic Co.)
SPÉCIAL 95 ANS D’INNOVATION – ANALYSE. Faites le test: demandez autour de vous à quel moment le Québec a vraiment commencé à exporter à grande échelle. On vous dira sans doute avec le libre-échange nord-américain, suivi par la mondialisation des marchés, puis par l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Or, l’ouverture de notre économie sur le monde remonte à plus d’un siècle.
«Au début du 20e siècle, le Québec exportait déjà beaucoup de ressources naturelles», rappelle Roma Dauphin, économiste et professeur à la retraite de l’Université de Sherbrooke, qui nous a récemment accordé un entretien.
En 2002, il a publié une étude qui aborde cette question pour le compte de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), qui s’intitule «La croissance de l’économie du Québec au 20e siècle».
L’économiste y explique que l’ouverture à grande échelle du Québec aux échanges internationaux s’est faite au début du 20e siècle, quand notre économie a amorcé sa révolution industrielle.
À l’époque, Montréal, dont le port est déjà névralgique pour les exportations de céréales de l’Ouest canadien, attire pratiquement toute la production canadienne des industries légères, dont le textile.
C’est aussi l’époque où le Québec commerce à exporter à grande échelle ses ressources naturelles aux États-Unis.
«La croissance dans les industries liées aux ressources naturelles a été permise par l’ouverture du marché des États-Unis, par les investissements massifs et surtout par l’abondance des ressources naturelles au Québec conjuguée à une pénurie dans la région du nord-est des États-Unis», écrit Roma Dauphin.
De nouvelles industries exportatrices en 1900
Au début des années 1900, de nouvelles industries se développent dans les régions du Québec grâce à l’exploitation des ressources naturelles et la production de l’hydroélectricité par des entreprises privées, comme la Shawinigan Water & Power Company.
Dans les ressources naturelles, les secteurs phares sont le bois, les pâtes et papiers, l’extraction minière ainsi que la production d’aluminium.
La Pittsburgh Reduction Company, l’ancêtre d’Alcoa, coule d’ailleurs son premier lingot d’aluminium au Canada en 1901, près des chutes de Shawinigan, sur la rivière Saint-Maurice.
Selon Roma Dauphin, outre les importations grandissantes des États-Unis pour répondre à leurs besoins immenses en matières premières, la Première Guerre mondiale (1914-1918) exerce aussi une demande supplémentaire pour les ressources naturelles du Québec.
Dans le cas des Américains, leur appétit pour nos ressources naturelles et notre hydroélectricité — notamment pour produire de l’aluminium — se traduit par une explosion de leurs investissements au Québec entre 1896 et 1913.
En moins de 20 ans, ces investissements sont multipliés par 23, passant de 24 à 546 millions de dollars.
«Ce sont les Américains, par exemple, qui ont installé au Québec la première usine d’aluminium, se sont occupés de la production des pâtes et papiers, ont construit les centrales électriques et, enfin, ont creusé les mines québécoises», écrit l’économiste.
À partir des années 1920, les États-Unis deviennent le premier marché d’exportation du Canada. À l’époque, les Américains achètent près de 80% de la production des produits semi-transformés du Québec, comme le bois, le papier et l’aluminium.
C’est dire à quel point l’économie du Québec est déjà très liée à l’américaine à l’époque où est fondé le journal Les Affaires, en 1928.
Dépression et rebond de l’après-guerre
La dépression des années 1930 freine toutefois cet élan de nos exportations. Comme l’économie américaine pâtit de la crise économique, la demande en matières premières diminue au sud de la frontière.
En revanche, la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) et la guerre de Corée (1950-1953) relancent les exportations du Québec.
Les deux conflits stimulent aussi la croissance de quatre secteurs qui existaient à peine dans les années 1930, soit les industries chimiques, le matériel de transport (avions et navires), les produits électriques et les produits métalliques.
Fait méconnu: le Canada a même conclu un accord commercial bilatéral avec les États-Unis, en vigueur de 1935 à 1948.
Toutefois, en 1948, l’entrée en vigueur de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) — l’ancêtre de l’OMC, qui comprenait à l’origine 23 pays, dont le Canada — a rendu caduc cet accord.
La suite de l’ouverture du Québec au commerce international est plus connue.
Dans les années 1980, Ottawa et Washington concluent le fameux Accord de libre-échange (ALE), entré en vigueur en 1989. Puis, l’entente est étendue au Mexique, en 1994, avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Les perceptions ont la vie dure, et rien de tel que des statistiques pour mettre les choses en perspective.
À la demande de Les Affaires, l’ISQ a calculé le ratio des exportations de biens et de services hors Québec (internationales et interprovinciales) par rapport au PIB québécois, en incluant les réexportations, à partir des données les plus anciennes — soit depuis 1981.
Ainsi, au début des années 1980, ce ratio était environ de 46%, soit sensiblement le même niveau qu’en 2022, à 47%… Bref, le libre-échange, la mondialisation des marchés et l’adhésion de la Chine à l’OMC n’ont pratiquement pas fait bouger l’aiguille de notre ouverture au commerce extérieur.
Comme l’ISQ n’a pas de données avant 1981, il est impossible de calculer ce ratio en 1900 ou en 1950, par exemple. Par conséquent, l’étude de Roma Dauphin ne comprend pas non plus ce ratio.
Chose certaine, étant donné l’ampleur des capitaux américains investis au Québec au fil du 20e siècle, d’autres époques de notre histoire ont peut-être affiché ce ratio de 46%-47%, voire un ratio plus élevé qu’aujourd’hui, sait-on jamais.
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