Pour prévenir une pénurie, le directeur du Département de chimie de l’Université de Montréal, André Charette, estime que les autorités devraient dresser une liste de médicaments susceptibles de tomber en pénurie ou d’être en forte demande au Québec. (Photo: courtoisie)
PHARMACEUTIQUE ET VALORISATION DE LA RECHERCHE. La pandémie a catapulté la recherche pharmaceutique sous les projecteurs. Elle a aussi démontré que le processus qui mène un médicament de l’éprouvette d’un laboratoire jusqu’aux rayonnages des pharmacies demeure incompris. Pleins feux sur la valorisation de la recherche dans ce domaine crucial.
Depuis mars, nombreux sont ceux qui se demandent si le Québec a intérêt à viser une autonomie pharmaceutique complète, ou du moins partielle. S’impliquer davantage dans la fabrication des médicaments consommés sur son territoire est certainement un atout, sauf qu’il reste à savoir s’il s’agit d’un objectif réalisable. Certains experts y croient, mais il reste du travail avant d’y arriver.
«Nous distribuons environ 15 000 produits pharmaceutiques différents. Si l’autonomie signifie l’autosuffisance complète, je ne crois donc pas que ce soit réaliste», souligne d’emblée Hugues Mousseau, directeur général de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie. Son organisme représente les grossistes qui distribuent les médicaments dans 1845 pharmacies de quartier ainsi que dans une dizaine de pharmacies hospitalières.
En revanche, si l’autonomie implique de cibler des médicaments plus «critiques», cela pourrait être une avenue intéressante. «On a déjà comme rôle de générer un stock tampon, soit d’emmagasiner des médicaments pour plusieurs semaines de façon à continuer d’approvisionner les pharmacies pendant un certain temps si un fabricant est en rupture de stock», explique Hugues Mousseau. Avoir une plus grande capacité de fabrication de médicaments constituerait un mécanisme supplémentaire permettant d’éviter des pénuries.
La COVID-19 est d’ailleurs venue souligner l’avantage d’une plus grande autonomie:le premier ministre François Legault a mentionné, le 18 avril, que le Québec risquait de faire face à une pénurie de certains médicaments, comme le propofol, un anesthésique, le fentanyl, un analgésique, le midazolam, un anxiolytique, et d’autres tels le rocuronium et le cisatracurium. Le problème n’a pas encore fait les manchettes au cours de la deuxième vague, mais rien ne garantit qu’il ne risque pas de se reproduire.
Pilule bleue Pharmascience, le plus grand employeur pharmaceutique du Québec, qui compte 1 500 employés, plaide aussi pour une amélioration de l’autonomie dans la chaîne d’approvisionne-ment pharmaceutique.
Dans un mémoire présenté aux gouvernements du Québec et du Canada le 20 octobre dernier à la suite du début de la deuxième vague, l’entreprise montréalaise avance qu’il faudrait, pour y arriver, «investir dans l’infrastructure de fabrication pharmaceutique existante au Canada pour renforcer la capacité nationale». Cela pourrait se faire sous forme d’aide gouvernementale directe de deux types:des subventions et d’autres formes de financement aux entreprises qui seraient liées à la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement, ou des crédits fiscaux.
Les recommandations de Pharmascience vont d’ailleurs dans le sens de celles de l’Association canadienne du médicament générique. En juin dernier, cette dernière a publié sa Feuille de route pour un approvisionnement durable en médicaments d’ordonnance pour les Canadiens. Investir dans l’infrastructure pharmaceutique canadienne «par l’entremise d’incitatifs, de subventions, d’ententes de prix et de volumes garantis»compte parmi les nombreuses recommandations qui y figurent.
Un procédé à mettre en place
Pour prévenir une pénurie, le directeur du Département de chimie de l’Université de Montréal, André Charette, estime quant à lui que les autorités provinciales pourraient – et devraient – dresser une liste de médicaments qui sont importants et susceptibles de tomber en pénurie ou d’être en forte demande au Québec. Des spécialistes locaux pourraient ensuite développer les recettes permettant de fabriquer les ingrédients ou molécules actives pour enfin recréer eux-mêmes certains médicaments.
Un nouveau procédé, la synthèse en flux continu, pourrait aider le Québec à y arriver. Cette méthode, sur laquelle travaille André Charette grâce, entre autres, à un laboratoire spécialisé appartenant à son département, permet de fabriquer quelques grammes d’ingrédient actif par heure dans des installations ayant la taille d’un réfrigérateur. Ce procédé éviterait d’avoir à recourir à de grandes usines mondiales qui produisent ce même ingrédient à coup de dizaines de kilos.
Selon André Charette, il faudrait maintenant que le gouvernement y mette du sien en investissant dans la recherche liée à la synthèse en flux continu et en imposant aux entreprises pharmaceutiques d’ici d’acheter les ingrédients actifs qui seraient fabriqués grâce à ce nouveau procédé. «C’est la clé», croit-il. Personne ne lancera une entreprise de synthèse sans avoir la garantie que ses ingrédients seront achetés même lorsqu’il n’y a pas de problème d’approvisionnement, estime le professeur. «On ne peut pas investir dans une infrastructure et une main-d’oeuvre pour les ressortir juste en temps de pénurie ou de pandémie.»
Peu de mouvement
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) – contacté par Les Affaires à la fin octobre – soutient maintenant que l’autonomie du Québec en matière d’approvisionnement de médicaments serait difficile à atteindre. Une porte-parole, Marie-Claude Lacasse, cite notamment des embûches telles que la protection de certains médicaments par brevets, la petitesse du marché provincial et les multiples étapes dans la fabrication des médicaments, souvent réalisées en impartition dans différents sites. «À notre connaissance, aucun pays en Occident n’est autonome en matière d’approvisionnement en médicaments», souligne-t-elle par courriel.
Questionné quant à ce qui est fait, actuellement, pour augmenter l’autonomie de la province, et ce qui est prévu à l’avenir, le MSSS indique que le Québec tente de se «doter de stocks de médicaments dans les établissements de santé plus importants, tout en s’assurant de minimiser les pertes». Il s’efforce aussi de mieux communiquer ses besoins aux fabricants, et souligne avoir atteint plusieurs de ses objectifs de stocks rehaussés en médicaments dans les établissements de santé.
En somme, les choses semblent donc avoir peu bougé dans le sens d’une plus grande autonomie pharmaceutique, malgré la déclaration de François Legault au début de la crise. Pour demain, donc, l’autonomie pharmaceutique ? Mieux vaut ne pas retenir son souffle.