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Faillite de Nortel il y a 10 ans: «La fin d’un symbole»

Marie-Pier Frappier|Publié le 14 janvier 2019

Faillite de Nortel il y a 10 ans: «La fin d’un symbole»

Subissant de plein fouet la crise de 2008, Nortel Networks s’est déclarée en faillite le 14 janvier, il y a 10 ans. En février 2009, l’ancienne entreprise du secteur des télécommunications annonçait la suppression de 3 200 emplois. 

Jusqu’en 2009, l’entreprise dont le siège social se trouvait à Toronto fournissait du matériel, des logiciels et des services pour les réseaux de télécommunications des opérateurs dans plus de 150 pays. 

Le 24 janvier 2009, dans Les Affaires, on pouvait lire un retour éclairé de Bernard Mooney sur Nortel et l’éclatement de la bulle technologique, sujet dont on ne se lasse pas, même dix ans plus tard.

«Le début d’une nouvelle époque» 

« Le 14 janvier au matin, quand Nortel Networks a annoncé qu’elle voulait se placer à l’abri de ses créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, on sentait beaucoup d’agitation au journal. Je ne comprenais pas trop pourquoi. 

Pour moi, la mort de Nortel était ce qu’on appelle un non-événement, car je croyais que tout avait déjà été dit sur cette ancienne coqueluche boursière. J’étais dans l’erreur. 

La mort de Nortel comme titre boursier (la société continuera sûrement d’exister en une version plus modeste) a surtout une importance symbolique. Et qu’elle survienne au milieu de la plus grave crise financière depuis les années 1930 aidera à en tirer de bonnes leçons. 

Toute une génération d’investisseurs, il y a 10 ans, a cru que la Bourse pouvait facilement et assurément les enrichir. Il suffisait d’acheter des titres de la nouvelle économie. 

De nombreux épargnants ont commencé à investir à la Bourse au cours des années 1990. Pour eux, Nortel était incontournable en raison de sa stature, de sa présence médiatique et de sa réputation étincelante. Il était alors mal vu d’émettre des commentaires négatifs sur l’équipementier en télécommunications. 

Au plus fort de la bulle technologique, Nortel est devenue un phénomène comparable à la tulipe au 17e siècle : en 1635, on a payé l’équivalent de 2 500 florins pour un bulbe de tulipe, alors qu’un artisan gagnait seulement 150 florins en une année ! 

Plus l’action de Nortel s’appréciait, plus elle était populaire et plus les investisseurs voulaient en acheter. 

Je me rappellerai toujours cette journée de la fin de 1999 : en revenant à la maison, j’ai entendu à la radio un journaliste sportif commencer son commentaire en se vantant de l’argent qu’il faisait à la Bourse avec Nortel et compagnie. Quelques minutes plus tard, sur une autre station, un commentateur politique gloussait lui aussi à propos des gains que lui procurait Nortel et se demandait pourquoi tout le monde n’achetait pas le titre. 

Évidemment, je généralise, car certains investisseurs et portefeuillistes ont refusé d’acheter du Nortel. Des conseillers ont d’ailleurs perdu des clients pour la seule raison qu’ils refusaient d’acheter le titre. Tous les jours, à la firme de gestion de portefeuilles où je travaillais à l’époque, nous étions pris à partie parce que nous n’achetions pas de ces actions. 

Reste qu’une génération d’investisseurs a été initiée à la Bourse lors de cette vague spéculative. Dix ans plus tard, cette génération est désabusée par le marché boursier. Plusieurs investisseurs se sentent même floués et perçoivent la Bourse comme un traquenard. 

C’est vrai si on investit sans trop comprendre ce qu’on fait. La réalité, c’est qu’investir à la Bourse n’est pas facile, mais peut être payant si on fait preuve de discipline. Mais renoncez aux rendements de 20 % obtenus sans effort ! 

Que Nortel vive son dernier chapitre dans cette crise suscite l’espoir que les prochaines années soient meilleures. 

Après l’éclatement de la bulle techno, voilà que celle liée au pétrole et aux autres denrées a également crevé. De même, la croyance que les institutions financières sont invincibles a été anéantie. 

Cela fera place, après le grand ménage actuel, à une nouvelle époque, qui pourrait être plus ancrée dans les valeurs fondamentales du placement. Imaginez une Bourse sans bulle, où le rendement de votre portefeuille serait étroitement lié à la performance économique des sociétés dont vous détenez le titre. 

La dépression boursière actuelle aura pour résultat de réduire les attentes des investisseurs pendant longtemps, ce qui est fort positif. Pour leur part, les entreprises auront un respect quasi religieux pour le capital, et le mot « dette » sera mis à l’Index. Il ne faut pas croire que les cycles disparaîtront pour autant. Mais leur amplitude pourrait être réduite, les mouvements d’enthousiasme étant moins excessifs. 

Sans rêver en couleurs, si la faillite de Nortel nous ramène aux valeurs de base, l’ancien fleuron canadien ne sera pas mort en vain. »

Liquidation de l’entreprise 

Rappelons qu’en 2007, Nortel a enregistré un chiffre d’affaires de 10,948 milliards de dollars US. Ce chiffre d’affaires a décru à 7,62 G$ US en 2008 puis à 2,80 G$ US en 2009. 

En 2004, Frank Dunn, alors PDG de l’entreprise, ainsi que plusieurs membres de l’équipe financière sont mis à la porte. Nortel mobilise près de 600 personnes durant plus de 18 mois pour tourner la page des irrégularités comptables. 

En décembre 2009, l’entreprise obtient l’approbation des tribunaux pour la cession de certaines de ses activités. En décembre 2009, Avaya rachète la branche télécommunications d’entreprises de Nortel pour 915 M$ US. 

À la fin de juin 2011, le portfolio de brevets de Nortel est vendu pour 4,5 G$ US à un consortium d’entreprises: Apple, EMC, Ericsson, Microsoft, RIM et Sony. 

 

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