CHRONIQUE. L'image a frappé les esprits : 150 000 jeunes dans les rues de Montréal un vendredi après-midi, ...
CHRONIQUE — L’image a frappé les esprits : 150 000 jeunes dans les rues de Montréal un vendredi après-midi, au lieu d’être en cours, pour crier haut et fort : «Sau, sau, sau, sauvons la planète !» L’idée était lumineuse : faire prendre conscience aux gouvernements – et, de manière générale, aux adultes – qu’il ne sert à rien d’avoir une tête bien pleine si c’est pour vivre dans un environnement moribond et mortifère.
Mais voilà, une autre image m’a frappée, passée, elle, totalement inaperçue : ces parents venus chercher leur enfant à la fin de la manifestation et lui taper sur l’épaule pour le féliciter de son engagement, pour ensuite lui offrir une petite bouteille en plastique de sa boisson préférée et le faire monter dans leur gros VUS.
Bref, le message n’est pas passé auprès de tout le monde. Loin de là.
Que devrions-nous donc faire pour amener les adultes à modifier leur comportement éco-irresponsable ? Pour convaincre ceux qui ne croient pas en l’efficacité d’un changement d’habitudes individuel, à commencer par le leur ? Et même, pour confondre ceux qui sont encore sceptiques quant à la réalité des changements climatiques ?
Eh bien, c’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. Si, si… Il suffit de s’appuyer sur de récentes avancées en matière de science du comportement.
Il faut savoir que, vous comme moi, nous avons des croyances fondatrices, des idées reçues qui permettent à notre cerveau d’effectuer des raccourcis mentaux et, par suite, de ne pas gaspiller une énergie folle à trier un nombre phénoménal de données. À partir du moment où l’on sait que 2 x 2 = 4, notre cerveau ne s’amuse pas à refaire le calcul chaque fois ; il lui suffit de voir les deux 2 pour tout de suite penser 4.
Ce n’est pas tout. Ces mêmes croyances favorisent aussi notre inclusion au sein d’une collectivité : on s’entoure tout naturellement de personnes ayant les mêmes raccourcis mentaux que les nôtres, car cela nous procure un inestimable réconfort psychologique.
Le hic, c’est que notre cerveau se moque que nos idées reçues soient vraies ou fausses, d’après Aaron Smith, professeur de management qui a signé le livre «Cognitive Mechanisms of Believe Change. Tant qu’elles lui permettent de traiter vite fait un grand nombre d’informations et de nous insérer dans une microsociété, tout va bien pour lui. Pis, il va automatiquement freiner des quatre fers si jamais des données fraîches – issues, disons, d’un jeune inquiet pour la planète – tentent de le déstabiliser : notre cortex préfontal a toujours le réflexe de recourir à ses raccourcis mentaux plutôt que de remettre en cause nos idées reçues et notre appartenance à une collectivité.
Or, c’est justement en jouant avec ce réflexe qu’on peut changer l’opinion d’autrui, en procédant en quatre temps :
1. Arrêter de mitrailler de faits. Plus un cerveau est mitraillé de faits, plus il se braque. D’où l’intérêt de contourner subtilement les idées reçues, en paralysant leur premier canal, les émotions. «Un bon truc consiste à adopter un ton calme et dépassionné, et à renvoyer l’autre à ses propres arguments, en lui demandant de menues précisions quant à leurs fondements. Cela libère dans son cerveau l’espace nécessaire pour le raisonnement que vous entendez lui faire faire par la suite», expliquent Sara et Jack Gorman, auteurs du livre Denying to the grave: Why we ignore the facts that will save us.
2. Rassurer et déstabiliser en même temps. Il faut ensuite trouver un terrain d’entente, mais pas n’importe lequel : celui de la science. «Même le climatosceptique le plus obtus reconnaît les avancées de la science (technologie, médecine, etc.). Une fois qu’on le lui fait dire à plusieurs reprises, son cerveau s’ouvre à son insu à des idées scientifiques neuves. C’est là une occasion en or pour l’amener à considérer un fait scientifiquement prouvé lié aux changements climatiques», dit le professeur de science de l’éducation Hunter Gehlbach.
3. Anthropomorphiser. Pour amener l’autre à adhérer à l’idée neuve et déstabilisante, il faut anthropomorphiser celle-ci, c’est-à-dire la présenter sous des traits humains, mieux, féminins. «Dès qu’on parle de « Mère Nature » ou qu’on présente une image de femme pour symboliser la planète, le cerveau humain ressent littéralement une vague d’amour pour l’information ainsi présentée», dit dans une étude Ting Liu, doctorante en environnement à l’Université normale de Nankin, en Chine.
4. Marteler. Pour finir de convaincre, il faut répéter, répéter et répéter la même donnée, et ce, par l’entremise d’influenceurs pertinents. «Si l’on veut convertir des climatosceptiques américains, rien de mieux que de faire passer le message par des PDG couronnés de succès, des militaires ou des pilotes de Nascar. Car ce sont des personnalités qu’ils respectent et écoutent», notent dans une étude Blake Hudson et Evan Spencer, deux professeurs de droit de l’Université de Houston, aux États-Unis.
Bref, il est bel et bien possible de sauver la planète, à condition d’en convaincre subtilement tous ceux qui vous entourent. Ce ne sont pas Greenpeace et autres Équiterre qui y parviendront, mais… vous-même ! En y allant une personne à la fois. Et en montrant l’exemple – comme viennent de le faire nos enfants -, après avoir eu le cran d’appliquer la méthode à vos propres idées reçues en matière d’environnement et de décider, par exemple, de refuser tous les sacs en plastique ou de supprimer la viande les fins de semaine. C’est aussi simple que ça.
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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