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Fausses nouvelles, désinformation et le principe d’impartialité

Francis Gosselin|Publié le 18 Décembre 2019

Fausses nouvelles, désinformation et le principe d’impartialité

Dans son dernier ouvrage, le journaliste et dirigeant de presse Bruno Patino proclame notre entrée dans la « civilisation » du poisson rouge. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Adopté par le président démocrate Harry Truman à la fin des années 40 avant d’être finalement supprimé sous l’administration Reagan en 1987, le principe d’impartialité — la fairness doctrine — était une politique de la Commission fédérale des communications (FCC) américaine qui a marqué le panorama médiatique américain. La FCC, responsable de l’émission des droits et de licences radiophoniques et télévisuelles, visait à s’assurer que les questions dites « d’intérêt général » soient présentées de façon équitable et équilibrée par les acteurs médiatiques. 

Face à la crise de qualité des médias à laquelle font face les sociétés et les démocraties occidentales, plusieurs voix s’élèvent pour proposer une version révisée de ce règlement. Un encadrement qui viserait à responsabiliser les médias numériques, la presse traditionnelle et les plateformes dites sociales, les incitant à faire preuve de retenue et d’intégrité quant aux contenus qu’ils diffusent. 

Le sénateur républicain Josh Hawley est l’une de ces voix. Il a introduit à l’été 2019 un projet de loi cherchant à réduire la dépendance aux médias sociaux, dont l’un des articles a été interprété comme visant une réactualisation du principe d’impartialité.

 

Lever l’immunité

L’un des avantages évidents d’une telle mesure serait la levée de l’immunité quasi complète que les plateformes et médias numériques ont réussi à obtenir depuis leur création.

Plusieurs reportages ont récemment permis de dévoiler le rôle joué par ces plateformes dérégulées dans la promotion de la violence. Certains, comme CBS News, vont même jusqu’à déclarer que les médias sociaux ont favorisé et promu des événements comme la tuerie néo-zélandaise qui est survenue dans une mosquée en mars 2019.

La création d’une autorité réglementaire viserait ainsi à jouer sur l’aspect économique de ces entreprises dont la profitabilité dépend d’une vision relativement radicale de la « liberté d’expression » — vision au sein de laquelle ils n’ont aucun rôle à jouer, aucune responsabilité, sinon celle d’accroitre la valeur de leur entreprise au bénéfice de leurs actionnaires.

 

Le syndrome du poisson rouge 

Dans son dernier ouvrage, le journaliste et dirigeant de presse Bruno Patino proclame notre entrée dans la « civilisation » du poisson rouge. Partant d’un diagnostic relevant de « l’économie de l’attention », il tente de répondre à la question qui préoccupe un nombre croissant d’acteurs sociaux, économiques et politiques contemporains : quel espace d’action nous reste-t-il pour encadrer les géants du web ? 

Comme l’écrit Patino, la création des médias de masse au cours du 20e siècle s’est produite parallèlement à la création d’institutions permettant d’encadrer leur action et de s’assurer que les externalités positives générées par celle-ci excèdent largement le coût de production de ces médias. Ou, pour le dire autrement, les médias de masse du siècle dernier ont favorisé l’apparition d’une classe de citoyens informés et d’acteurs politiques partageant a minima une compréhension commune des enjeux et des défis collectifs de la démocratie. 

Patino cite par exemple le succès phénoménal d’un centre de recherche comme le B.J. Fogg Persuasive Lab à Stanford, dont le principal objectif de recherche est de mieux comprendre la « psychologie du comportement » numérique afin et de « motiver » et de « persuader » les gens.

 

Encadrer sans censurer

Plusieurs voix se sont élevées afin de torpiller le projet d’Hawley. La commentatrice politique Makena Kelly a d’ailleurs souligné à quel point il est paradoxal qu’un sénateur républicain s’empare d’une telle question alors que, selon l’avis de plusieurs, ce sont ces mêmes plateformes qui ont mené à l’élection de Donald Trump en 2016.

Hawley, qui décrit Facebook comme une entité parasite des sociétés démocratiques occidentales, soutient que ces plateformes, sous couvert d’une grande liberté d’expression, restreignent en fait la liberté individuelle en manipulant leurs utilisateurs. Cette liberté de pensée réduite, instrumentalisée à des fins purement économiques, est globalement destructive, selon le politicien. Elle engendre une externalité négative qui est supérieure aux bénéfices économiques qu’elle procure.

La droite libertarienne est évidemment très sceptique face à cette mesure. L’historien Paul Matzko suggère qu’une telle mesure risque d’être «hautement intrusive et inefficace». Il prédit aussi qu’elle créerait un nombre important de conséquences involontaires. Matzko, connu pour ses travaux sur la censure des médias de droite dans les années 60, rappelle d’ailleurs que le principe d’impartialité s’appliquait particulièrement bien dans un contexte de rareté de la ressource: un petit nombre d’acteurs médiatiques se partageant les ondes hertziennes étaient beaucoup plus faciles à encadrer que l’internet, qui compte des millions d’acteurs de tailles variées.

Bien que sa critique soit précise et juste, Matzko ne propose pas pour autant d’autres options. Fidèle à la doctrine libertarienne, il se contente d’exiger un non-interventionnisme radical. Jusqu’ici, apparemment, tout va bien. 

À l’ère où de nombreux politiciens, chercheurs, journalistes et citoyens se questionnent sur l’avenir de l’internet et de son rôle comme vecteur positif d’évolution des sociétés démocratiques, le principe d’impartialité est une référence historique utile. Sans être applicable tel quel, il mériterait d’être étudié et, qui sait, adapté à la réalité du 21e siècle.