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Faut-il être chiche pour être riche?

Daniel Germain|Publié le 27 février 2019

Faut-il être chiche pour être riche?

Heureux, les gratteux?

Je crains que non.

On reconnaît les pingres par leur réticence à dépanner financièrement un ami ou leur mère alors qu’ils en ont les moyens. Ils profitent naturellement de la générosité des autres pour disparaître quand arrive leur tour de rendre la pareille. Sortir la moindre somme de leur poche pour autre chose que répondre médiocrement à un besoin personnel leur inflige une souffrance.

Il n’y pas de petites économies pour eux, même au prix d’exaspérer leurs proches. Chez ces individus, la satisfaction de «sauver» des dollars éclipse le mépris que leur obsession cultive autour d’eux.

Cheaps, tout dans leur orbite finit par être cheap. Ils achètent de la camelote et à la longue, ils deviennent de véritables repoussoirs pour les gens estimables.

Certains pensent qu’il s’agissait là du sujet de ma chronique publiée il y a une semaine: les avares. C’est tout le contraire; ceux qui s’enrichissent grâce à l’épargne acquièrent et cultivent la qualité, pour les objets et leurs relations, dans une perspective à long terme. Je racontais cette histoire d’un lecteur qui est parvenu à accumuler pour 2,5 M$ d’actifs, sans se priver sur l’essentiel, malgré un salaire normal et les obligations qui accompagnent une progéniture.

Lire La vie «ennuyeuses» des vrais millionaires

J’ai débordé sur le sujet de la quête de l’indépendance financière et de la retraite hâtive, un phénomène qui, bien que marginal, gagne de plus en plus d’adeptes. Pour vous dire, ce même thème a fait l’objet d’un dossier dans Le Devoir de samedi dernier coiffé du titre équivoque Repenser la retraite.

Le personnage de mon texte n’est pas un converti, il n’a pas adhéré à ce mouvement un beau matin après s’être fait ouvrir les yeux. D’un tempérament économe et raisonnable, il n’a jamais été enclin à dépenser toute sa paie et à s’entourer d’objets neufs et inutiles. Il lui a toujours semblé plus logique d’épargner et de faire fructifier cet argent.

Plusieurs lecteurs m’ont écrit pour témoigner de leur situation, similaire à celle que j’ai décrite, ou en voie de l’être. Certains ont souligné l’envers de cette «philosophie de vie», exprimé dans le regard des autres. Des amis ou des collègues considèrent avec un léger mélange de suspicion et de moquerie leur naturel à ne pas s’offrir tout ce que leur permet leur capacité financière. Vivre selon ses moyens, d’après l’interprétation qu’on entretient aujourd’hui de cette ligne de conduite, signifie dépenser toute sa paie.

Voici ce qu’écrit justement le lecteur André:

Fait intéressant, lorsqu’on mène une vie simple, on se fait régulièrement dire « moi si j’avais ton salaire, j’aurai une BM… » ou « toi, tu piles ton argent… » Bref, économiser est mal vu, comme si nos amis endettés voulaient nous aspirer dans leur monde où tout est financé et où l’on vit sur la corde raide toute sa vie !

L’épargne n’est pas très bien perçue, et pour une raison simple. Au paradis du consommateur à tout crin, elle fait figure de comportement anticonformiste. Plutôt qu’y voir l’indépendance d’esprit, il est plus rassurant pour celui qui n’en est pas doté de suspecter quelque chose d’un peu méprisable, comme l’avarice.

***

Cela dit, je n’ai pas de mal à croire qu’il y a du monde qui plonge dans ce courant, celui de l’épargne extrême et de la retraite hâtive, avec un excès d’enthousiasme. Il y a une frontière au-delà de laquelle un adepte devient fervent. Le danger consiste alors à basculer au stade suivant, le prosélytisme, là où on retrouve quelques dingos un peu tannants, comme certains émules de Gwyneth Paltrow.

Quand ses enfants de 6, 10 et 15 ans partagent encore la même chambre chauffée à 18 degrés malgré son salaire d’ingénieur, c’est un signe avant-coureur. Il a généralement franchi la ligne quand ses amis et sa mère, fatigués de ses tentatives de les convertir, ne daignent plus le rappeler.

Il y a pire que les pingres, les Ayatollah de l’économie de bout de chandelle. 

***

Viser un bilan de 2,5 M$ est un objectif ambitieux pour qui ne gagne pas un salaire respectable, n’a pas commencé tôt à épargner et n’a pas la tolérance au risque nécessaire pour placer l’essentiel de son pécule en Bourse. C’est au contraire décourageant.

Il en faut bien moins pour aspirer à une retraite confortable qui débuterait à l’âge normal, soit 65 ans. Si des gens ordinaires sont parvenus à accumuler des millions de dollars sans autres efforts que de renoncer à la grande maison, aux voitures neuves et aux objets inutiles, je suppose que les sacrifices ne doivent pas être surhumains pour accumuler 750 000 dollars dans un REER avant 65 ans.

On peut se retrouver dans une situation où un pareil objectif reste encore irréaliste. On n’a tout simplement pas gagné assez d’argent, une perte d’emploi a provoqué un long hiatus dans sa carrière ou on a laissé des plumes dans un divorce. On peut aussi se réveiller trop tard pour constater que les dettes accumulées avec les années compromettent sérieusement sa capacité d’épargne d’ici la retraite.

Je n’en connais pas la raison, mais je présume que notre lectrice Lucie est confrontée à cette impossibilité. Chose certaine, elle n’apprécie pas qu’on participe à la réflexion d’un millionnaire, elle trouve «enrageant» que je lui fasse perde son temps avec un sujet qui n’a rien d’instructif.

Pour bien marquer la rage, «enrageant» a été mis en rouge par l’autrice du message, une personne qui, je suppose, préfère lire sur les traitements à l’insuline plutôt que sur l’activité physique et l’alimentation. Des sujets, libérons-nous, mauditement enrageants.

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