Le titre est déjà long, il aurait été plus précis d’ajouter à la suite «tel qu’il fonctionne actuellement». Ç’aurait donné Faut-il mettre fin au fractionnement de revenu de pension tel qu’il fonctionne actuellement?
Ce n’est pas dans les habitudes de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke de présenter les choses aussi crûment. Les universitaires nous ont habitués à plus de sobriété, ainsi ont-ils intitulé leur rapport de recherche, présenté vendredi après-midi, Le fractionnement du revenu de pension : fonctionnement, enjeux et pistes de réflexion. Je vous en parlais ce matin dans une première chronique sur la question. Celle-ci en est la suite, en quelque sorte.
>>Lire Le fractionnement de revenu, une stratégie claire-obscure
N’empêche, les chercheurs concluent leur document avec des propositions qui dégonfleraient substantiellement cet avantage fiscal.
Ils ne le disent pas dans ces mots, mais le fractionnement de revenus de pension crée deux catégories de contribuables soumis à des régimes distincts : les couples de retraités qui peuvent fractionner leur revenu et tous les autres, qui ne peuvent pas.
À regarder le coût de ce «privilège» accordé aux couples de retraités, on comprend rapidement qu’il ne l’étende pas aux autres couples. Ottawa se prive de plus d’un milliard de dollars d’entrées fiscales par année et Québec, de plus de 100 millions. Si la facture au Québec représente moins de 10 % de celle d’Ottawa, c’est qu’ici, les possibilités de fractionnement sont plus restreintes qu’au fédéral.
Le poids de cette mesure est lourd, mais ce n’est pas si mal encore en comparaison de la facture à venir. Le nombre de retraités est appelé à croître au cours des prochaines années, ce qui ne manquera par de faire pression sur les finances des deux paliers de gouvernement, souligne-t-on.
À l’introduction de la mesure, en 2007, 862 000 Canadiens en ont profité. La valeur totale des montants transférés atteignait alors près de 9 G$. En 2015, quelque 1,3 M de contribuables se sont prévalus de cette mesure pour des montants transférés de quelque 14 G$.
Le fonctionnement et l’avantage du fractionnement de revenu sont connus des retraités, qui y recourent largement, constatent les auteurs de la recherche. Les comptables, les préparateurs d’impôt (du type H&R Block) et les logiciels d’impôt le proposent ou l’appliquent de manière quasi systématique, avec plus ou moins d’explications, sans toujours exposer les avantages et les inconvénients.
Dans la majorité des cas, observent les universitaires, les contribuables comprennent que le fractionnement de revenu consiste en un transfert fictif de revenu qui génère un transfert réel de l’impôt entre conjoints. Cependant, un sondage mené dans le cadre de la recherche démontre que les couples qui fractionnent leurs revenus restent nombreux à ne pas mettre en commun le traitement des soldes dû et des remboursements d’impôt. Pourtant, pour que l’avantage apporté par le fractionnement profite aux deux conjoints, le plus sûr est de faire une mise en commun.
Selon le sondage, chez les couples de retraités qui utilisent la mesure, 43 % des gens disent payer le solde indiqué sur sa propre déclaration; 34 % affirment que chacun garde le remboursement indiqué sur sa déclaration. Les proportions sont presque identiques à celles observées dans l’ensemble de l’échantillon du sondage, qui inclut les couples qui ne fractionnent pas leurs revenus, ce qui n’est pas normal. Ce devrait être beaucoup plus bas.
La chaire de recherche présente quelques options pour atténuer ces effets indésirables, auxquels ils ajoutent l’encouragement à la retraite hâtive que représente le fractionnement et les interactions que celui-ci peut avoir avec d’autres mesures fiscales touchant les retraités.
Elle propose certaines options pour les atténuer, ce qui passe forcément à par une réduction des avantages que procure le fractionnement de revenus.
Ottawa, par exemple, pourrait imiter Québec et relever le critère d’âge à 65 ans, notamment pour les rentes des régimes de retraite d’employeur. Pour Ottawa, cela aurait pour effet de récupérer 430 M$.
Une autre option serait de limiter à 50 000 $ le montant transférable au conjoint. Québec pourrait ainsi récupérer 10 M$ en impôt et Ottawa, 95 M$ (60 M$ en étant combinée avec la première option). Comme l’indiquent les montants, peu de retraités seraient affectés par ce changement.
L’option la plus radicale consiste à transformer la mesure de fractionnement en un crédit d’impôt non remboursable. Les auteurs soulignent qu’il serait ainsi possible de limiter les transferts et les économies d’impôt tout éliminant les interactions avec les autres mesures fiscales. Ils ont estimé qu’elle permettrait à Ottawa de verser 335 M$ en moins en pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV). Le fractionnement permet en effet à nombreux retraités de protéger cette prestation, laquelle diminue normalement à partir d’un certain niveau de revenu.
Cette solution permettrait aussi de supprimer les iniquités potentielles entre conjoints reliées aux transferts réels d’impôt sans qu’il y ait nécessairement de transferts de revenu.
Appliquée, elle ferait sans doute sortir des retraités dans la rue et, qui sait, nous ferait de nouveau entendre «Goodbye Charlie Brown!»