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John Plassard

Préparé pour le futur

John Plassard

Expert(e) invité(e)

Fusion nucléaire: l’avancée majeure

John Plassard|Mis à jour le 18 juin 2024

Fusion nucléaire: l’avancée majeure

Des techniciens travaillent sur le champ biologique pendant le lancement de l'étape d'assemblage de la machine de fusion nucléaire «Tokamak» du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER). (Photo: Getty Images)

EXPERT INVITÉ. C’est le rêve fou de plusieurs scientifiques et doux rêveurs depuis des dizaines voire des centaines d’années : créer de l’énergie grâce à la fusion nucléaire. Si c’est une thématique que nous avons abordée il y a quelques années de cela, une percée majeure vient de se produire. Que faut-il en penser et quelles sont les occasions d’investissement? Synthèse et analyse.

 

 

Les faits

Dans le cas du réacteur de fusion français WEST, comme le rapporte National Geographic, les scientifiques ont réussi à maintenir le plasma à une température stupéfiante de 100 millions de degrés Fahrenheit pendant six minutes, dépassant de loin la température du cœur du Soleil, qui est d’environ 27 millions de degrés Fahrenheit.

L’expérience (réussie) permet enfin d’atteindre l’objectif d’allumage promis lors du lancement de la construction de la National Ignition Facility en 1997. Cependant, lorsque les opérations ont commencé en 2009, l’installation n’a pratiquement pas produit de fusion, une déception embarrassante après un investissement de 3,5 milliards de dollars du gouvernement fédéral.

Le National Geographic souligne qu’un kilogramme de combustible de fusion — principalement un mélange d’isotopes d’hydrogène, le deutérium et le tritium — peut produire une énergie quatorze millions de fois supérieure à celle d’un kilogramme de combustible fossile, tout en évitant les émissions de gaz à effet de serre. Ces chiffres impressionnants soulignent le potentiel de la fusion nucléaire en tant que source d’énergie inépuisable et propre.

La réaction de fusion en laboratoire a de fait produit plus d’énergie qu’il n’en a fallu pour la déclencher.

 

 

Qu’est-ce que la fusion nucléaire?

La fusion nucléaire émule les processus naturels au cœur du Soleil, où les atomes d’hydrogène fusionnent pour former de l’hélium, libérant ainsi une énergie énorme qui dépasse largement celle de la fission nucléaire.

Luis Delgado-Aparicio, qui dirige les projets avancés au PPPL, décrit la fusion nucléaire comme une sorte de «soleil artificiel sur Terre». Il s’agit d’un défi de taille, car il faut atteindre des températures supérieures à celles du cœur du soleil tout en réduisant les niveaux de pression pour faciliter la fusion.

Un autre obstacle important est le maintien de la réaction de fusion nucléaire, qui est susceptible de s’éteindre rapidement, en particulier en cas de contamination du combustible. En outre, pour que la fusion soit viable, elle doit produire plus d’énergie que la quantité utilisée pour chauffer le plasma à des températures aussi extrêmes. Les dernières expériences ont permis de produire 15% d’énergie en plus, même si la production nette d’énergie n’est pas au rendez-vous.

Les tokamaks, caractérisés par leur forme de beignet avec un trou central, sont un type spécifique de réacteur de fusion dans lequel le plasma est contenu par un champ magnétique puissant. Le choix du matériau des parois du réacteur est un élément essentiel de la conception.

À l’origine, le réacteur WEST utilisait du carbone pour ses parois en raison de sa facilité de manipulation, mais il absorbait le tritium du mélange combustible. En 2012, il a été remplacé par du tungstène, qui, malgré les problèmes qu’il pose, tels que la fusion et la contamination par le plasma à haute température, sera également utilisé dans le réacteur ITER, le plus important projet de réacteur expérimental de fusion dans le sud de la France.

Les scientifiques du PPPL ont également mis au point un outil de diagnostic amélioré pour contrôler avec précision la température du plasma et suivre les mouvements du tungstène dans le réacteur. Ces informations serviront aux travaux en cours sur le réacteur ITER.

 

Quel est le but ultime?

La fusion serait essentiellement une source d’énergie sans émissions, et elle contribuerait à réduire le besoin de centrales électriques brûlant du charbon et du gaz naturel, qui rejettent chaque année dans l’atmosphère des milliards de tonnes de dioxyde de carbone qui réchauffe la planète.

Mais il faudra un certain temps avant que la fusion ne devienne disponible à une échelle pratique et généralisée, si jamais elle le devient.

On parle ici de décennies.

Jusqu’à présent, les efforts de fusion ont principalement utilisé des réacteurs en forme de beignets appelés tokamaks. Dans ces réacteurs, l’hydrogène gazeux est chauffé à des températures suffisamment élevées pour que les électrons soient arrachés aux noyaux d’hydrogène, créant ainsi ce que l’on appelle un plasma — des nuages de noyaux chargés positivement et d’électrons chargés négativement.

Les champs magnétiques emprisonnent le plasma dans le beignet, et les noyaux fusionnent, libérant de l’énergie sous forme de neutrons qui s’envolent vers l’extérieur.

Suivant: Qu’est-ce qui doit être améliorer encore? 

Qu’est-ce qui doit être amélioré encore?

Depuis des décennies les scientifiques améliorent régulièrement un certain nombre d’éléments de la fusion pour parvenir à ce résultat, et des travaux supplémentaires pourraient rendre ce processus plus efficace.

Tout d’abord, les lasers n’ont été inventés qu’en 1960. Lorsque le gouvernement américain a achevé la construction du National Ignition Facility en 2009, il s’agissait de l’installation laser la plus puissante au monde, capable de délivrer 1 million de joules d’énergie à une cible.

 

 

Les 2 millions de joules qu’il produit aujourd’hui sont 50 fois plus énergétiques que le deuxième laser le plus puissant de la planète. Des lasers plus puissants et des moyens moins énergivores de produire ces lasers puissants pourraient améliorer considérablement l’efficacité globale de l’énergie nucléaire.

D’autres chercheurs étudient des variantes de l’expérience du NIF. D’autres types de lasers à différentes longueurs d’onde pourraient chauffer l’hydrogène plus efficacement.

Ensuite, si une partie du combustible, le deutérium, est naturellement abondante dans l’eau de mer, le tritium est beaucoup plus rare. La fusion elle-même produit du tritium. Les chercheurs espèrent donc développer des moyens de récolter directement ce tritium. En attendant, il existe d’autres méthodes pour produire le combustible nécessaire.

Certains chercheurs sont favorables à une approche de la fusion par laser dite «à entraînement direct», qui consiste à utiliser la lumière laser pour chauffer directement l’hydrogène. Cela permettrait d’obtenir plus d’énergie dans l’hydrogène, mais pourrait également créer des instabilités qui contrarieraient les réactions de fusion.

 

Comment l’intelligence artificielle peut aider la fusion nucléaire?

L’intelligence artificielle (IA) joue aussi un rôle important dans l’avancement de la recherche et de la technologie en matière de fusion nucléaire notamment à travers :

• Les prévisions des instabilités du plasma: Les modèles d’IA peuvent prédire les instabilités du plasma, telles que les instabilités du mode de déchirement, qui peuvent perturber la réaction de fusion. En prévoyant ces événements jusqu’à 300 millisecondes à l’avance, l’IA permet d’ajuster en temps réel les paramètres de fonctionnement du réacteur afin d’empêcher la formation d’instabilités.

• Le contrôle dynamique des réactions de fusion: Les méthodes traditionnelles de contrôle des réactions de fusion sont statiques et moins adaptables. L’IA offre une approche plus dynamique, permettant au système de contrôle d’apprendre des expériences passées et de s’adapter aux nouvelles conditions à la volée. Cette adaptabilité est cruciale pour maintenir un régime de plasma stable et puissant.

• La résolution les instabilités du plasma: Un large éventail d’instabilités du plasma pose des problèmes pour obtenir des réactions de fusion soutenues. L’IA peut aider à résoudre ces problèmes en développant des politiques de contrôle qui favorisent des conditions de plasma stables, ouvrant ainsi la voie à des réactions de fusion plus cohérentes et plus durables.

• L’amélioration de l’efficacité des réacteurs: L’IA peut optimiser le fonctionnement des réacteurs de fusion en analysant de grandes quantités de données provenant d’expériences. Cette analyse peut permettre d’améliorer la conception des réacteurs et les stratégies opérationnelles, ce qui rend l’énergie de fusion plus réalisable et plus évolutive.

Suivant: Qui sont les leaders dans la fusion nucléaire 


Qui sont les leaders dans la fusion nucléaire?

Aujourd’hui, avec le regain d’intérêt mondial pour les énergies durables, il existe au moins 35 entreprises de fusion nucléaire dans le monde qui ont levé des fonds privés pour un total de plus de 2,3 milliards de dollars. Bill Gates a investi dans Commonwealth Fusion Systems et Jeff Bezos dans General Fusion, pour n’en citer que quelques-uns.

Cependant, aucune des plus de 35 entreprises qui explorent cette technologie n’est cotée en bourse, et il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles y fassent leur entrée avant plusieurs années, car elles continuent à se battre avec la preuve du concept.

Cependant on peut s’y exposer «indirectement».

Tout d’abord à travers les matériaux. En effet, la fusion nucléaire a besoin de combustible pour fonctionner. Et notamment le lithium.

Des sociétés comme Albemarle Corporation et Livent sont toutes deux des producteurs de lithium établis qui pourraient avoir beaucoup à gagner si la fusion nucléaire prend son essor au cours de la prochaine décennie.

 

 

Ensuite il y a l’investissement dans l’ingénierie. Outre le besoin de combustible, la fusion nucléaire nécessitera également la construction, l’entretien et la réparation de réacteurs extrêmement coûteux. Actuellement, des sociétés d’ingénierie publiques telles que Babcock International et AtkinsRéalis ont des filiales qui participent activement à la création de la technologie de fusion nucléaire.

Enfin, on peut investir à travers les centres de données. En effet, de nombreuses entreprises qui explorent la fusion nucléaire sont optimistes quant à leur capacité à créer des réacteurs fonctionnels et productifs dans les deux prochaines années. Toutefois, la plupart d’entre elles prévoient également que la commercialisation de l’énergie issue de la fusion nucléaire n’aura probablement pas lieu avant les années 2030. Les centres de données seront parmi les premiers à adopter cette technologie.

La promesse de puissance élevée et de faible coût offerte par la fusion nucléaire pourrait permettre aux géants des données comme Verizon ou Amazon d’améliorer massivement leur rentabilité et, par conséquent, leurs revenus.

 

Synthèse

La fusion nucléaire est une question d’avenir. Avenir pour notre énergie et avenir pour les problèmes de gaz à effet de serre. Cependant, on sait que cela prendra du temps et qu’il faudra régler la question de gestion des déchets. Nous vous tiendrons au courant de toutes les évolutions dans ce domaine.

 

 Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud

 

** Veuillez prendre note que les visuels de notre expert sont présentés en anglais à titre informatif et ne peuvent être traduits par notre équipe. Merci de votre compréhension.