Selon un petit sondage non-scientifique, 76% des personnes qui ont répondu ont indiqué que les problèmes d’approvisionnement ont perturbé les activités de leur organisation. (Photo: 123RF)
SECTEUR MARITIME. Malgré la hausse de l’offre et la baisse importante des prix du fret maritime, les chaînes d’approvisionnement demeurent fragilisées, ce qui cause toujours bien des maux de tête aux entreprises, affirment des spécialistes. En revanche, des solutions existent pour limiter les effets négatifs.
Christian Sivière, président de Solimpex, une firme d’experts-conseils en commerce international, souligne que les pires effets de la crise des approvisionnements de 2020-2021 — la congestion, les retards, l’explosion des prix — sont en grande partie derrière nous. « Cette tendance s’est inversée depuis le début 2022, souligne-t-il, et les prix sont maintenant revenus au niveau de 2019. »
Par exemple, de novembre 2021 à novembre 2022, les prix du fret maritime entre la Chine et la côte ouest de l’Amérique du Nord (l’indice FBX01) ont chuté de 90 %, rapportait en décembre la chaîne d’information économique CNBC. Les prix du fret maritime entre la Chine et la côte est de l’Amérique du Nord par le canal de Suez (l’indice FBX03) ont quant à eux reculé de 78 %. On assiste donc à un retour d’une certaine normalité.
En revanche, des problèmes d’approvisionnement persistent depuis 2020, rappelait en octobre le PDG de l’Administration portuaire de Montréal (AOM), Martin Imbleau, dans un discours devant le Cercle canadien de Montréal.
Un petit sondage — non scientifique — auquel ont répondu les gens présents à l’événement témoigne des difficultés vécues encore par plusieurs entreprises.
Ainsi, 83 % des personnes ont répondu avoir fait face à des retards de livraison de produits depuis janvier 2022, tandis que 76 % ont indiqué que les problèmes d’approvisionnement ont perturbé les activités de leur organisation.
Quatre crises depuis 2020
En fait, les entreprises ont pâti de quatre crises depuis deux ans, dont les effets se font toujours sentir en grande partie, selon Martin Imbleau.
1. Une crise de l’offre : la pandémie s’étend au printemps 2020, les populations sont confinées, les usines s’arrêtent.
2. Les ratés de la reprise : de grands ports vivent des interruptions en raison d’éclosions importantes de COVID-19, et la désorganisation des chaînes d’approvisionnement s’aggrave.
3. Emballement de la demande : au second semestre de 2021, les vaccins fonctionnent, l’optimisme revient, l’économie rebondit. Limitées pendant un an, les dépenses de consommation explosent, notamment sur Internet, mais les chaînes d’approvisionnement ne suivent pas.
4. La crise géopolitique : l’invasion russe de l’Ukraine à compter de février 2022 affecte les chaînes d’approvisionnement. Le marché de l’énergie est bouleversé, le commerce de denrées (blé, céréales) et de certains minerais est déstabilisé.
D’autres acteurs de l’industrie maritime font sensiblement la même lecture de la situation, dont Mathieu St-Pierre, PDG de la Société de développement économique du Saint-Laurent, un organisme sans but lucratif qui représente la communauté maritime du Québec.
À ses yeux, ces facteurs — combinés à la pénurie de la main-d’œuvre — ont non seulement déséquilibré les chaînes d’approvisionnement, mais ils ont aussi provoqué une réflexion en profondeur au sein de plusieurs entreprises. « L’ensemble de ces éléments fait en sorte que plusieurs chaînes dans le monde ont eu du mal à s’adapter, ce qui a forcé plusieurs entreprises à revoir leur relation avec l’approvisionnement de leurs matières premières », explique-t-il.
Les solutions innovantes
Logistec, une entreprise québécoise spécialisée en logistique, qui exploite un réseau de 79 terminaux maritimes en Amérique du Nord, a d’ailleurs aidé plusieurs entreprises à revoir la configuration de leur chaîne d’approvisionnement, de concert avec ses partenaires portuaires. « On a proposé de nouvelles méthodes pour le transport de la cargaison. Par exemple, des entreprises qui utilisaient autrefois des conteneurs ont migré vers le transport en vrac, ce qui a très bien fonctionné », dit Frank Robertson, vice-président aux opérations à Logistec.
Il donne l’exemple de fabricants de tuyaux de clôture provenant de Turquie. Ils ont choisi de mettre leur marchandise dans des navires de cargo général déchargé au port de Trois-Rivières, plutôt que de la disposer dans des conteneurs.
Frank Robertson souligne qu’on a assisté au même phénomène avec le bois d’œuvre. « Cette solution [la migration vers le transport en vrac] s’est avérée efficace et profitable pour nos clients », assure-t-il.
Parmi les autres pistes de solutions, Martin Imbleau propose, par exemple, de créer des entrepôts collectifs dans la grande région de Montréal, dans lesquels des entreprises pourraient stocker des marchandises.
La crise de la chaîne d’approvisionnement a provoqué une transition du modèle en juste-à-temps — qui était la norme depuis des décennies — vers le concept du juste au cas, ce qui implique de stocker davantage.
Mathieu St-Pierre estime que l’industrie pourrait aussi investir davantage dans les technologies et l’analyse de données. Cela permettrait d’optimiser en temps réel les flux logistiques, en plus d’anticiper les goulots d’étranglement.
D’un point de vue géographique, Christian Sivière affirme que les entreprises qui le peuvent auraient intérêt à « raccourcir » leurs chaînes d’approvisionnement, par exemple en faisant affaires davantage avec des fournisseurs américains ou mexicains.
À moins d’une surprise de taille, la logistique mondiale ne reviendra pas à ce que nous avions en 2019, avant la pandémie et la guerre en Ukraine. Le monde a changé durablement. Les entreprises devront donc continuer à adapter leurs chaînes d’approvisionnement.