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ANALYSE. Les transporteurs ferroviaires sont un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement, comme le démontre leur long parcours d’appréciation en Bourse.
Cela ne veut pas dire que cet oligopole est imperméable à la pandémie pour autant. Les résultats du plus récent trimestre des deux transporteurs ferroviaires ont raté les attentes des analystes, qui avaient surestimé la capacité des deux opérateurs à contrer les perturbations de la COVID-19.
Les revenus et le bénéfice du Canadien National (CNR, 140,97 $) ont baissé de 11 % et de 17 % respectivement, tandis que ceux de Canadien Pacifique (CP, 415,43 $) ont décliné de 6 % et de 11 %. Le fameux ratio d’exploitation, qui exprime les dépenses en proportion des revenus, s’est détérioré de 57,9 % à 59,9 % pour le CN et de 56 % à 58,2 % pour le CP.
En Bourse, les deux transporteurs ferroviaires avaient aussi devancé la parade en engrangeant des gains respectifs de 19 % et de 25 % depuis le début de l’année. Cela surpasse nettement le recul de 6 % du S&P/TSX de Toronto et la hausse de 6 % du S&P 500 américain.
L’évaluation des deux titres, soit des multiples de 23 et de 21 fois les bénéfices attendus en 2021, frôle des records, indique Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux.
Ces multiples paraissent moins gourmands quand on tient compte des perspectives assez visibles des deux transporteurs et de leur rentabilité, en pleine crise. Combien de secteurs cycliques peuvent en dire autant ? «Étant donné le chemin déjà parcouru, certains investisseurs voudront peut-être attendre que la reprise se solidifie ou que l’évaluation des titres se comprime pour déployer des capitaux additionnels au secteur», explique un analyste qui préfère garder l’anonymat.
Le décalage entre les bénéfices espérés et les cours explique en grande partie la position assez neutre des analystes à l’égard de CN et de CP, malgré les orientations encourageantes fournies par les dirigeants.
L’évaluation du CN plus difficile à justifier
Jean-Jacques Ruest, le grand patron du CN, a promis que la croissance des revenus et l’amélioration des marges prendraient un nouvel élan à partir du quatrième trimestre. La société est aussi en bonne voie pour générer comme prévu des flux de trésorerie excédentaires d’au moins 2,5 milliards de dollars (G $) en 2020, soit 25 % de plus qu’en 2019.
À court terme, le type de marchandises expédiées pèsera sur les marges jusqu’au début de 2021, mais le titre reste attrayant en prévision d’un retour à 58 % du ratio d’efficacité en 2022, soutient Fadi Chamoun, de BMO Marchés des capitaux, qui recommande l’achat du CN et fixe son cours cible à 152 $.
Les résultats auront aussi progressivement plus belle allure en 2021 puisqu’ils seront comparés à ceux de trois trimestres ponctués par une grève, un blocus et la COVID-19, fait valoir Konark Gupta, de Banque Scotia.
Toutefois, les futurs gains seront plus difficiles à arracher étant donné l’évaluation de tête du CN dans son industrie, prévient Walter Spracklin, même s’il table sur un rebond de 19 % des bénéfices en 2021. Il abaisse son cours cible de 145 $ à 144 $.
L’évaluation du CN rebute aussi Cameron Doersken, de Financière Banque Nationale, qui n’en recommande pas l’achat. Le multiple actuel est 19 % plus élevé que sa propre moyenne depuis cinq ans.
Par contre, aux yeux de Konark Gupta, tout repli de l’action du CN (comme celui de 6 % le 21 octobre) offre l’occasion de l’acheter pour miser sur le retour d’une croissance de plus de 10 % des profits l’an prochain. Son cours cible de 152 $ laisse entrevoir un potentiel de 7,8 %.
Le CP suscite plus de confiance
Keith Creel, le PDG de CP, a relevé ses objectifs pour 2020 pour la deuxième fois cette année ; il prévoit désormais une hausse de 5 % du bénéfice en dépit du déclin prévu des volumes des marchandises transportées.
Malgré ses dépenses annuelles en capital de 1,6 G $, le CP continue de racheter activement ses actions. Environ 60 % du plan annuel de rachat est terminé, précise Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux.
Cet analyste n’en recommande néanmoins pas l’achat parce que son évaluation reflète déjà la qualité de l’exécution des dirigeants et les perspectives de croissance.
Plus confiant, Fadi Chamoun, de BMO, juge que le CP est particulièrement bien positionné pour tirer profit du levier de la reprise après avoir adopté les meilleures pratiques commerciales de l’industrie, ces dernières années. Il relève son cours cible de 450 $ à 460 $.
Même si le bond de 25 % de CP à ce jour en 2020 refroidit l’enthousiasme de Walter Spracklin, de RBC, le gain potentiel de 8,5 % du titre est meilleur que celui de ses semblables, d’où sa recommandation d’achat. De nouveaux contrats (tels que le transport intermodal pour A.P. Moller-Maersk) et des achats stratégiques (le chemin de fer régional CMQ et le tunnel de Détroit) ajoutent à ce potentiel, dit-il.
Le parcours de la reprise et le jeu des attentes dicteront la performance des deux chemins de fer en Bourse. La relance économique est certainement une locomotive, mais maintenant que les deux rivales sont toutes deux aussi efficaces, la bataille se déplace de plus en plus sur le terrain des revenus.