Hockey Canada publie un rapport annuel, mais on n’y retrouve pas d’états financiers. On y apprend toutefois que 6% de ses revenus viennent de l’État et que 43% proviennent de commandites et d’activités commerciales. (Photo: 123RF)
ANALYSE. La démission du président et chef de la direction de Hockey Canada, Scott Smith, et celle annoncée et à venir des membres de son conseil d’administration (CA) ne régleront pas immédiatement la crise que vit cette organisation.
Les administrateurs actuels de Hockey Canada ne peuvent pas tous quitter immédiatement leur fonction, car ils devront assumer leur responsabilité fiduciaire aussi longtemps qu’un nouveau CA n’aura pas été élu par l’assemblée générale de ses membres. Cette assemblée doit se réunir le 17 décembre prochain.
D’ici là, le comité de candidatures du CA recevra des noms de personnes intéressées à siéger au futur conseil de Hockey Canada. Afin de rehausser le niveau des compétences du CA, ce comité s’appuiera sans doute sur des experts qui l’aideront à sélectionner les personnes qualifiées qui auront la tâche de rebâtir l’organisation et de rétablir sa réputation.
Après démissions successives des deux derniers présidents du conseil, l’avocat québécois Michael Brind’Amour le 6 août, et l’avocate torontoise Andrea Skinner le 8 octobre, il reste sept administrateurs au CA de Hockey Canada sur les neuf postes prévus dans son règlement de régie interne. Il s’agit d’un avocat de Calgary et de six personnes provenant de fédérations provinciales et qui n’ont pas de compétence particulière en gouvernance, en gestion ou en droit. La plupart sont des retraités qui ont œuvré comme bénévoles dans le hockey mineur.
Scott Smith, dont la démission était demandée, a, comme ses prédécesseurs, contribué à façonner la culture de l’organisation, même si les décisions stratégiques ont sans doute toujours été avalisées par le CA. Scott Smith a occupé plusieurs responsabilités au sein de l’organisation avant d’accéder à son poste le 1er juillet 2022, succédant alors à Tom Renny, qui l’avait occupé depuis 2014. C’est sous la direction de ce dernier que le règlement hors cour a été conclu dans l’affaire du viol collectif allégué survenu à London en 2018.
Système de gouvernance
Les administrateurs de Hockey Canada sont redevables aux fédérations des provinces et du Grand Nord. Les délégués de ces organisations régionales constituent l’assemblée générale qui élit les membres du CA. Ce processus comprend un comité de nominations qui propose les noms de personnes recommandées, comme cela se fait dans la plupart des OSBL et des sociétés à but lucratif.
Pour rebâtir le CA de Hockey Canada, les administrateurs sortants de charge étudieront les recommandations de l’ex-juge de la Cour suprême, Thomas Cromwell, nommé le 4 août dernier pour revoir sa gouvernance. Ce rapport n’est pas public, mais il aurait été reçu par Hockey Canada.
Réputation entachée
Hockey Canada vit un cauchemar qui ne sera résolu que par l’installation d’une nouvelle gouvernance et la nomination d’un nouveau président et chef de la direction, qui ne devrait pas provenir de l’interne si l’on veut changer la culture de l’organisation et rétablir la confiance de ses parties prenantes.
Il s’agit des fédérations régionales, des parents, des joueurs, du gouvernement fédéral, qui lui donnerait 4 M$ par année, des commanditaires, qui constituent sa principale source de financement, et de la population en général. Hockey Canada repose aussi en bonne partie sur des dizaines de milliers de bénévoles bien intentionnés, qui ont à cœur la promotion et le développement du hockey amateur, le sport national du Canada, auquel participent 650 000 jeunes.
Réserves financières
Hockey Canada perdra beaucoup de revenus dans cette crise, mais l’organisation est riche. Ses états financiers révèlent qu’il avait, au 30 juin 2019, une encaisse de 10,7 M$ et des placements à long terme de 93,5 M$. Ces avoirs sont comptabilisés dans différents fonds, qui sont souvent des réserves pour des dépenses à venir, des événements imprévus et des réclamations diverses. Une autre entité, Fiducie Hockey Canada, avait un actif de 28 M$, dont 27 M$ en encaisse, au 30 juin 2021.
Hockey Canada a obtenu des revenus de 97,9 M$ pendant l’exercice terminé le 30 juin 2019 et a dépensé 81,3 M$, d’où un excédent de 16,6 M$, auquel s’est ajouté un gain en capital de 1,5 M$. Il s’agit toutefois d’une année exceptionnelle en raison de la tenue au Canada d’un championnat international qui a rapporté des revenus de 36 M$ et qui a occasionné des déboursés de 24 M$. Le prochain championnat mondial junior de hockey se tiendra en décembre et janvier. La crise actuelle risque de le perturber.
Le gouvernement canadien a coupé son financement à Hockey Canada pour faire pression sur l’organisation, mais il pourrait le rétablir si Hockey Canada accepte de se faire enquêter par le Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport, un organisme fédéral. On peut penser que cette enquête aura lieu.
Deux enquêtes policières sont en cours. L’une porte sur le viol allégué survenu à London en 2018 et l’autre, sur un événement qui s’est produit à Halifax en 2003. Au total, Hockey Canada a déjà déboursé 8,9 M$ depuis 1989 pour régler à l’amiable 21 plaintes de nature sexuelle.
On dit que la réputation est l’actif le plus important d’une organisation. Il faudra bien du temps à Hockey Canada pour regagner la sienne. Comme quoi, il ne faut jamais lésiner avec l’appareil de gouvernance servant à la protéger
* Jean-Paul Gagné est coauteur d’un livre sur la gouvernance des OSBL, Améliorez la gouvernance de votre OSBL.