Hockey Canada: une gouvernance opaque, sans reddition de comptes
Jean-Paul Gagné|Publié le 07 octobre 2022Hockey Canada publie un rapport annuel, mais on n’y retrouve pas d’états financiers. On y apprend toutefois que 6% de ses revenus viennent de l’État et que 43% proviennent de commandites et d’activités commerciales. (Photo: 123RF)
ANALYSE. L’utilisation de fonds opaques pour dédommager des victimes d’abus sexuels dans le monde du hockey mineur et protéger les abuseurs du système de justice a créé une vague de protestations sans précédent à l’endroit de Hockey Canada.
Après le gouvernement canadien qui demande qu’un ménage soit fait à la tête de Hockey Canada, plusieurs commanditaires importants, dont Tim Horton, Canadian Tire, Telus, Esso et la Banque Scotia, ont quitté le navire
Hockey Canada est l’organisme sans but lucratif (OSBL) qui gère les activités du hockey mineur au Canada. Il est gouverné par un CA de personnes élues par les membres qui forment son assemblée générale. Ces membres sont 13 fédérations ou associations sportives reconnues par Hockey Canada. Il y en a une par province, sauf en Ontario, où il y en a trois, et le nord du Canada, qui en a une. À l’assemblée annuelle, l’Ontario a cinq droits de vote, le Québec, trois, et les autres, un chacun.
Depuis la démission le 6 août 2022 de Michael Brind’Amour, avocat de Joliette, qui en était le président, le CA de Hockey Canada compte huit personnes: une avocate de Toronto (Andrea Skinner, qui assure la présidence par intérim), un avocat de Calgary et six hommes issus du hockey mineur dans différentes provinces, qui n’ont, sur papier, aucune connaissance particulière en gouvernance et en administration.
Ces personnes sont des bénévoles, mais leurs dépenses sont payées. Le CA dépend d’une énorme structure administrative, qui a son siège social à Calgary, et dont on ignore le coût de fonctionnement. Ce CA compte six comités, mais on ne sait pas qui en fait partie. De plus, on n’imagine mal comment huit ou neuf bénévoles peuvent faire fonctionner efficacement autant de comités.
Grande opacité
Hockey Canada publie un rapport annuel, mais on n’y retrouve pas d’états financiers. On y apprend toutefois que 6% de ses revenus viennent de l’État et que 43% proviennent de commandites et d’activités commerciales. Chacun des 650 000 joueurs de hockey mineur paie à l’organisation un droit d’inscription de 3$. Il en coûte aussi à chaque joueur 13,65$ pour le coût de l’assurance, qui est offerte par le National Equity Fund, lequel a déboursé 8,9 M$ depuis 1989 pour régler 21 cas d’allégations sexuelles au sein du hockey mineur. Il existe aussi un autre fonds de prévoyance, le Participants Legacy Trust Fund, qui a été doté de 7,1M$. Il a été créé pour régler des poursuites, des allégations et d’autres litiges.
Autre indice d’opacité, il n’y a pas de données financières de Hockey Canada dans le site des organismes de bienfaisance reconnus par l’Agence du revenu du Canada. Par contre, on y trouve Fiducie Hockey Canada, qui a déclaré un actif de 28M$, dont 27M$ d’encaisse au 30 juin 2021. Elle a déclaré des revenus de 3,9M$ et des dépenses 1,9M$ pour l’exercice 2020-2021. On ne sait pas de quelles dépenses il s’agit.
Reddition de comptes déficiente
Alors que le gouvernement Trudeau fait des pressions pour obtenir qu’un ménage soit fait à la haute direction de Hockey Canada, rien n’oblige le CA de Hockey Canada à obtempérer. Ce ménage vise particulièrement Scott Smith, qui est associé à Hockey Canada depuis 1997 et qui y a gravi tous les échelons jusqu’à devenir président et chef de la direction le 1er juillet 2022, à la suite de la démission de son prédécesseur Tom Renny à la même date. Cela n’a pas suffi à satisfaire la ministre des Sports du Canada, Pascale St-Onge.
Hockey Canada n’a de comptes à rendre qu’à son CA, qui, comme on l’a vu plus haut, ne semble pas particulièrement compétent face à l’immense bureaucratie qui gère l’organisation. Quant au CA lui-même, il n’a de compte à rendre qu’à ses membres lorsqu’ils sont réunis en assemblée générale. Ces derniers peuvent certes destituer le PDG, mais il s’agit d’un processus complexe, sans oublier que ce départ nécessiterait une importante compensation financière, laquelle pourrait s’avérer très coûteuse pour Hockey Canada. On a rapporté que Scott Smith gagne plusieurs millions par année, mais aucune confirmation de cela n’a pu être faite.
Le coup de grâce
Ce sont les membres de Hockey Canada, soit 13 fédérations et organisations sportives territoriales, qui peuvent régler le sort de Scott Smith. En retirant sa confiance et sa cotisation de 260 000$ à Hockey Canada, Hockey Québec a lancé le bal. L’Ontario Hockey Federation a demandé que Hockey Canada ne perçoive pas le droit de 3$ par joueur pour l’année en cours. D’autres fédérations attendent le rapport du juge Thomas Cromwell sur la gouvernance de Hockey Canada avant de réagir.
Le problème de la gouvernance de Hockey Canada ne sera pas réglé par le départ de son PDG. C’est un changement de culture qui s’impose. Et il se peut que cela passe par la mise en place d’un CA plus professionnel et rémunéré. Le bénévolat a ses limites dans des organisations complexes, qui ne sont pas surveillées par l’État ou des organismes de réglementation reconnus.
Problème courant
La défaillance de la gouvernance de Hockey Canada et l’opacité de sa gestion ne sont pas un cas unique. Par exemple, des OSBL cachent la fragilité de leur gouvernance en ne publiant de rapport annuel ou ne faisant pas vérifier leurs états financiers. Leur reddition de comptes se limite aussi parfois à un CA dont les membres sont insuffisamment qualifiés ou en apparence de conflits d’intérêts. Il faut être alerte pour distinguer les organisations bien gouvernées de celles qui ne le sont pas.
Ce problème peut d’ailleurs devenir très critique lorsque d’importantes sommes d’argent circulent dans ces organisations. On n’a qu’à penser aux scandales et à la corruption qui ont marqué l’histoire de la Fédération internationale de football (FIFA), dont 14 dirigeants ont été inculpés de corruption en 2015, et celle du comité olympique international, dont des administrateurs ont reçu des pots-de-vin pour influencer les pays hôtes des jeux qu’ils organisent.
* Jean-Paul Gagné est coauteur d’un livre sur la gouvernance des OSBL, Améliorez la gouvernance de votre OSBL.