« Il semble que le Canada n’arrive pas à se démarquer sur le plan de l’innovation. » – Catherine Beaudry, professeure titulaire, département de Mathématiques et génie industriel à Polytechnique Montréal
SPÉCIAL 500: LA R-D. Existe-t-il un lien entre R-D et compétitivité des entreprises ? Et si oui, lequel ? Nous en avons discuté avec Catherine Beaudry. Professeure titulaire au département de Mathématiques et génie industriel à Polytechnique Montréal, elle pilote l’équipe multidisciplinaire du projet 4POINT0, qui développe de nouveaux outils de mesure de l’innovation.
MARTIN JOLICOEUR – Est-ce que la R-D est toujours principalement l’affaire des entreprises au Canada?
CATHERINE BEAUDRY – La plus grande part des dépenses en R-D provient toujours des entreprises. En 2015, elles représentaient 0,90 % du PIB canadien. Nous sommes bien loin des années 1970, où seulement 3 % de la R-D industrielle était faite hors des entreprises. Aujourd’hui, c’est différent ; les projets de R-D menés entièrement à l’intérieur des entreprises sont plus rares. On assiste maintenant à beaucoup plus de recherches collaboratives. La R-D issue des universités (0,66 % du PIB) et des gouvernements (0,15 % du PIB) prennent plus de place. En somme, les entreprises demeurent un maillon important de l’écosystème de la R-D au pays, mais cet écosystème ne saurait être complet, sans que soit aussi prise en compte la R-D issue des gouvernements et des universités.
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M.J. – Les activités de R-D ont bonne presse. On présume généralement qu’elles servent les entreprises. Mais est-ce vraiment le cas ? Existe-t-il un lien réel entre les dépenses en R-D d’une entreprise et sa compétitivité ?
C.B. – Certainement. C’est un tout. Quand les entreprises investissent en R-D, que ce soit pour le développement de nouveaux produits ou pour l’amélioration de leurs procédés, ces entreprises cherchent à augmenter leur performance. Ce faisant, elles se donnent les moyens de mieux faire face à la concurrence, et donc d’accroître leur compétitivité.
M.J. – L’ accroissement de la compétitivité d’une entreprise, résultat d’investissements en R-D, se traduit-il nécessairement par de la création de richesse ?
C.B. – À première vue, nous pourrions le croire. La R-D mène normalement à l’innovation, et l’innovation se traduit normalement en création de richesse. Il importe cependant de ne pas se contenter uniquement de l’innovation. Par exemple, l’introduction d’un nouveau procédé de fabrication dans une entreprise, résultat de ses activités de R-D, est susceptible d’accroître sa compétitivité. Donc, normalement, de contribuer aussi à la création de valeur ou de richesse pour l’entreprise. Par contre, il faut admettre que comme une entreprise en croissance n’est pas nécessairement plus compétitive, une entreprise plus compétitive n’est pas non plus toujours vouée à la croissance.
M.J. – Est-ce pour cette raison que le Canada, lorsqu’on le compare à d’autres économies développées, fait mauvaise figure en matière de R-D ?
C.B. – Il est vrai que le degré d’investissement en R-D des entreprises canadiennes est plus faible que la moyenne des pays de l’OCDE. Cela en inquiète plus d’un. Par contre, les investissements des entreprises dans les universités (par l’intermédiaire de contrats de recherche et de collaboration universitaires) sont les plus élevés des pays de l’OCDE. Il faut considérer l’ensemble. Cela dit, malgré des investissements importants en R-D dans les universités, il semble que le Canada n’arrive pas à se démarquer sur le plan de l’innovation.
M.J. – Comment se fait-il que ces investissements d’entreprises en R-D dans les universités ne permettent pas qu’elles performent davantage sur le plan de l’innovation ?
C.B. – C’est ce qu’on appelle le «paradoxe canadien de l’innovation». La réponse franche est que nous ne comprenons pas encore exactement pourquoi. C’est aussi bête que cela. Ce paradoxe est au centre des travaux du Partenariat pour l’organisation de l’innovation et des nouvelles technologies que je dirige. Nous voulons comprendre pourquoi, malgré d’importants investissements des entreprises et des gouvernements en science et technologie dans nos universités, nous ne réussissons pas toujours, comme société, à mieux performer sur le plan de l’innovation, et à faire en sorte que nos entreprises en profitent davantage.
M.J. – Vous êtes tout au début de vos travaux sur le sujet. Avez-vous déjà des pistes de solution ?
C.B. – J’aime faire l’avocate du diable en rappelant que nous sommes généralement bien bons pour nous déprécier. Or, le problème se trouve peut-être dans la façon de mesurer l’innovation. J’ai l’impression qu’une part de l’histoire vient du fait que nous avons un tissu industriel très varié par rapport aux pays avec lesquels on se compare. Par exemple, notre économie est très ancrée dans le secteur primaire, tout en l’étant aussi dans les hautes technologies. Au Japon, on le sait, le secteur des ressources naturelles est beaucoup moins développé. Il est peut-être normal que la R-D y soit plus concentrée qu’ici dans le secteur des hautes technologies. Bref, ne pourrait-on pas trouver des façons de mesurer l’innovation de manière plus juste ? La question se pose et la réponse est à suivre. Mais c’est assurément un objet de recherche qui m’anime actuellement.
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