ANALYSE ÉCONOMIQUE – Les PME pâtissent de la pandémie de la Covid-19 et de la récession mondiale, la pire depuis la Dépression des années 1930. Et cette crise est loin d’être terminée. Aussi, d’ici à la découverte d’un vaccin et de traitements efficaces, les gouvernements doivent faire un effort supplémentaire afin de limiter la fermeture d’entreprises en raison de cette crise exceptionnelle.
Bien entendu, il ne s’agit pas ici de sauver toutes les PME en difficulté. La création et la destruction d’entreprises – le processus de «destruction créatrice» théorisé par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) – est après tout un processus inhérent (voire souhaitable) au capitalisme.
Dans ce processus, des entreprises arrivent sur le marché avec de nouvelles innovations qui remplacent les anciennes, le meilleur exemple est sans doute l’ordinateur qui a remplacé la dactylo pour écrire des reportages…
La destruction d’entreprises tient aussi aux entrepreneur.e.s qui ont mal géré leur organisation (l’importance du ratio du fonds de roulement est souvent méconnu) ou qui ont sous-estimé la concurrence, refusé de s’adapter ou passé à côté de LA tendance dans leur industrie.
À l’innovation et la mutation du marché s’ajoute aussi la récession (une contraction du PIB pendant au moins deux trimestres consécutifs), la grande faucheuse économique d’entreprises, qui entraîne dans son sillage les sociétés qui n’ont pas les reins assez solides pour affronter la tempête.
C’est pourquoi des entrepreneurs québécois ont dû jeter l’éponge au cours des 10 récessions qui ont parsemé l’histoire du Québec depuis 1945, selon le décompte effectué par les économistes du Mouvement Desjardins.
Ce processus est tout à fait normal, s’entendent pour dire la plupart des économistes de gauche et de droite. Une récession accélère en quelque sorte «la sélection naturelle» dans une économie.
Or, cette fois, c’est très différent.
Nous n’assistons pas à de la «destruction créatice»
La présente récession mondiale n’est pas la conséquence d’une hausse planifiée des taux d’intérêt des banques centrales pour juguler l’inflation, d’une explosion des prix du pétrole ou de l’éclatement d’une bulle immobilière.
Nous n’assistons pas non plus au classique processus de destruction créatrice de Schumpeter, où les nouvelles innovations supplantent les anciennes.
Cette crise tient à l’apparition d’un nouveau virus en Chine qui s’est propagé ensuite comme une traînée de poudre sur la planète.
Bref, cette crise est davantage sanitaire qu’économique.
Aux quatre coins du monde, elle a forcé les gouvernements à fermer littéralement des pans de leur économie et a confiné des centaines de millions de personnes.
Mais en fin de compte, le choc est double: économique et sanitaire.
Économique, car l’effondrement de la demande a paralysé la majorité des entreprises à l’exception de celles qui offraient des services ou des biens essentiels, et ce, de l’agroalimentaire aux équipements médicaux. Au deuxième trimestre, en rythme annualisé, le PIB américain a chuté de 32,9% (la performance de l’économie canadienne n’est pas encore connue).
Sanitaire, car même si la reprise s’est amorcée depuis quelques semaines, elle demeure fragile en raison des mesures sanitaires pour limiter la propagation du virus et de la confiance très instable des consommateurs, surtout à l’approche d’une deuxième vague plus que probable, selon les spécialistes en santé publique.
C’est dire à quel point ce cocktail économique et sanitaire est explosif.
158 000 PME à risque de fermeture au Canada
Une récente étude de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) illustre à quel point la situation des PME est précaire, voire catastrophique.
Au Canada, une PME sur sept risque de fermer ses portes, ce qui représente 158 000 entreprises. Au Québec, on parle de 17 773 sociétés à risque.
«On pourrait remplir le centre Bell avec ces entreprises québécoises!», laisse tomber au bout du fil François Vincent, vice-président de la FCEI pour le Québec.
La FCEI est arrivée à ces résultats à partir des réponses que ses membres ont données à l’énoncé suivant, entre le 26 juin et 2 juillet : « J’envisage sérieusement de déclarer faillite/liquider mon entreprise à cause de la Covid-19 ».
On le rappelle : il est normal que des entreprises mettent un terme à leurs activités dans un cycle économique régulier (reprise, expansion, surchauffe, récession).
L’étude de la FCEI met d’ailleurs les choses en perspective.
Au cours des 13 derniers trimestres (3,25 années), le Canada a affiché une création nette moyenne d’environ 14 000 entreprises par trimestre (140 000 entrées de sociétés sur le marché – 126 000 sorties de sociétés).
Si 158 000 PME mettent la clé dans la porte, le Canada afficherait donc une destruction moyenne nette de 18 000 entreprises (140 000 entrées de sociétés – 158 000 sorties de sociétés).
Et il s’agit du scénario moyen. Car, selon la vigueur de la reprise économique, entre 55 000 et 218 000 entreprises au Canada pourraient disparaître, tandis que cette fourchette oscille de 5 128 à 29 564 au Québec.
Tout cela à cause d’un virus!
C’est pourquoi il faut repenser l’aide aux PME.
Penser «Out of the box»
Certes, les gouvernements (le fédéral et les provinces) en ont fait beaucoup pour les appuyer dans cette tempête qui s’étire.
À Ottawa, on a notamment lancé le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (prêts de 40 000$) et la Subvention salariale d’urgence du Canada de 75% (SSUC). À Québec, on a proposé entre autres l’Aide d’urgence aux petites et moyennes entreprises et le Programme d’action concertée temporaire pour les entreprises (PACTE).
Ces programmes ont sauvé des entreprises et des dizaines, voire des centaines, de milliers d’emplois.
Or, la plupart du temps, l’aide des gouvernements prend la forme d’un prêt, ce qui signifie que l’entreprise accroît son endettement.
Et, on peut le comprendre du point de vue de l’État. Comme les déficits publics et, ultimement, la dette explosent, les gouvernements s’attendent à récupérer l’argent qu’ils ont prêté aux entreprises pour éviter de nombreuses faillites.
Là où les gouvernements peuvent sortir des sentiers battus, c’est en prolongeant le délai pour commencer à rembourser les prêts et en diminuant les taux d’intérêt.
La logique financière est assez simple.
Collectivement, préfère-t-on une PME qui ne rembourse pas les intérêts et le capital sur sa dette pendant cinq ans (par exemple) ou une PME qui fait faillite et qui, non seulement ne remboursera pas les intérêts et le capital, mais qui cessera surtout de payer des impôts et des taxes aux gouvernements pour toujours?
Collectivement, préfère-t-on une PME qui ne paie pas de taux d’intérêt (elle ne rembourserait que le capital) ou un taux d’intérêt très bas (équivalent par exemple au taux directeur de la Banque du Canada) ou une PME qui paie le taux du marché (voire avec une prime étant donné le risque), mais dont le fonds de roulement sera insuffisant pour payer ses dettes et qui fera faillite?
Bien entendu, on peut aider les PME en allégeant la réglementation (sans nuire toutefois à la protection de l’environnement et aux droits des travailleurs), en réduisant leurs charges financières ou leur taux d’imposition.
Ce sont d’ailleurs des demandes traditionnelles de la FCEI.
99,8% des entreprises sont des PME
Mais là, il faut penser «Out of de the box», car le rôle des PME est crucial dans l’économie canadienne et québécoise. En fait, la plupart des entreprises au pays sont des PME, selon les données du gouvernement canadien.
En décembre 2017, le milieu d’affaires canadien comptait 97,9% (1,15 million) d’entreprises de petite taille (99 employés et moins), 1,9% (près de 22 00) d’entreprises de taille moyenne (de 100 à 499 employés) et 0,2% (2 939) de grandes entreprises.
Les grandes entreprises jouent un rôle majeur dans l’économie, même si elles sont peu nombreuses. Ce sont de grands donneurs d’ordre, d’importants consommateurs de biens et de services, sans parler de leur impact dans l’innovation en raison de leurs ressources humaines et financières.
Par contre, les PME sont vraiment le poumon de l’économie, car elles emploient la plupart d’entre nous, et ce, de Montréal à Gaspé.
Sans renoncer au processus de destruction créatrice, ne laissons pas un virus miner bêtement ce tissu économique que nous avons mis des années, voire des décennies, à bâtir et qui assure et assurera notre prospérité économique.