Les motivations des entreprises américaines qui rapatrient leur production sont étroitement liées aux coûts de main-d'œuvre, d’énergie et de transport. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Le phénomène mondial de délocalisation des activités de production a fait les manchettes à partir des années 2000, notamment avec la montée de la Chine et d’autres nations manufacturières à faibles coûts de production. Plus récemment, une autre tendance, la relocalisation ou le«reshoring», a tenté d’y faire contrepoids.
Les États-Unis en ont fait leur marotte bien avant la pandémie de COVID-19.
À l’heure actuelle, les perturbations dans les chaines d’approvisionnement nous obligent aussi à considérer la régionalisation des achats et, surtout, le développement d’une capacité de fabrication locale en l’absence de fournisseurs qualifiés.
La relocalisation reste cependant très anecdotique au Québec et dans le reste du Canada.
Les motivations des entreprises américaines qui rapatrient leur production sont étroitement liées aux coûts de main-d’œuvre, d’énergie et de transport.
La logique du coût total de possession – qui prend en compte le coût total que l’entreprise devra assumer pour livrer son produit – s’est par la suite imposée comme outil de décision afin de justifier ou non une relocalisation de la production.
La bataille du «godfather du reshoring» aux États-Unis
L’organisme américain « The Reshoring Initiative » avec son infatigable leader Harry Moser, documente tous les cas de relocalisation.
Cette organisation fait aussi des représentations auprès du gouvernement américain pour obtenir une règlementation favorable à la relocalisation, tout en tentant de convaincre les entreprises une à une de ramener leur production en sol américain.
Ce brave Harry, celui que je surnomme affectueusement le «godfather du reshoring», nous a même visités quelques reprises au Québec pour prêcher la bonne nouvelle.
Selon cet organisme, durant la décennie 2010-2019, trois secteurs se sont démarqués sur le plan de la relocalisation :
- les équipements de transport (941 entreprises et 298 000 emplois rapatriés)
- les produits électroniques et informatiques (552 entreprises et 110 000 emplois)
- les produits, appareils et composantes électriques (437 entreprises et 78 000 emplois)
Vous aurez remarqué qu’il s’agit de produits à valeur ajoutée qui peuvent être viables dans la structure de coût d’une économie avancée. C’est d’autant plus le cas si cette production peut s’appuyer sur une transition technologique des entreprises qui contribue à augmenter leur productivité.
On parle donc de près de 800 000 emplois ramenés aux États-Unis sur une dizaines d’années, ce qui n’est pas rien.
Avec cette performance digne de mention, les États-Unis ont réussi à faire un match nul avec la délocalisation, soit autant d’emplois qui sortent que d’emplois qui reviennent.
En revanche, si on compare le volume d’emplois recouvrés à la taille de l’économie manufacturière américaine, c’est sûr que le constat est moins probant.
La performance mitigée du Québec et du reste du Canada au chapitre de la relocalisation s’explique par notre faible niveau de productivité et d’automatisation. (Photo: Getty Images)
Les secteurs ayant le plus de potentiel au Canada
Une étude prospective récente de la BDC réalisée par Deloitte nous apprend qu’au Canada les secteurs de la machinerie, des équipements et fournitures médicales ainsi que celui des boissons ont le potentiel de relocalisation le plus élevé.
Aux États-Unis, le top 3 est constitué de secteurs intensifs en capital et en énergie, c’est-à-dire les boissons, le tabac et les produits transformés du pétrole.
Le succès américain s’explique par trois facteurs :
- la différence de coûts de production à la baisse avec les pays émergents en raison des récents gains de productivité
- la crise des chaines d’approvisionnement
- la politisation du commerce international et la tendance nationaliste avec le «Made in America»
La performance mitigée du Québec et du reste du Canada au chapitre de la relocalisation s’explique par notre faible niveau de productivité et d’automatisation, sans parler de la faiblesse du dollar canadien.
Au Canada, les importations continuent de croître plus rapidement que les produits domestiques, ce qui n’est plus le cas au sud de la frontière.
Une étude réalisée par Deloitte et E&B DATA en 2017-2018 et mise à jour en 2020 avait pourtant permis d’identifier les secteurs où le Québec possédait les conditions gagnantes pour substituer une partie de ses importations.
Finalement, s’il y a un enseignement utile à retenir de COVID-19, c’est bien qu’il faudra mieux se préparer à la prochaine crise.
La guerre en Ukraine renforce l’importance de notre souveraineté économique, à l’heure où s’approvisionner devient un sérieux casse-tête pour les entreprises.