Il n’y a pas de chef dans la firme d’ingénierie numérique Nagarro
Karl Moore|Publié le 17 novembre 2020«Il faut de la discipline pour faire de cette vision non hiérarchique une réalité», dit Manas Fuloria, PDG de Nagarro. (Photo: Nilanjan Ray)
BLOGUE INVITÉ. Cela peut paraître incongru, mais Manas Fuloria, PDG de Nagarro n’est pas l’administrateur en chef de l’entreprise. Il n’est qu’un membre d’une équipe de plus de cinquante dirigeants de haut niveau chargés de diriger la société d’ingénierie numérique. Avec plus de 8400 employés vivant dans 25 pays différents et des clients dans 48 pays, il s’agit d’une entreprise vaste et diversifiée.
En anglais son titre de PDG est un acronyme qui décrit son rôle en tant que « gardien de l’esprit d’entreprise dans l’organisation » M. Fuloria fait partie d’une équipe de direction composée de 16 nationalités. Ces dirigeants apportent leur savoir-faire dans différents domaines et services tels que les technologies émergentes et les unités commerciales mondiales ; toutefois, l’organisation n’est pas hiérarchisée.
Les chefs de projet, que l’on appelle « PDG de projet » chez Nagarro, sont responsables de chaque aspect du développement de leur projet, de leur clientèle à leur stratégie d’investissement, sans intervention de l’équipe de direction. La direction générale ne fixe pas d’objectifs trimestriels pour les équipes de l’organisation, et ne procède pas à des évaluations de performance pour les centaines de chefs de projet, qui ne sont pas uniquement motivés par la rentabilité de leurs projets. Atypique pour l’industrie, cette approche est née de la conviction qu’il est possible de faire avancer toute l’entreprise en se focalisant sur le progrès de chaque projet.
« Il faut de la discipline pour faire de cette vision non hiérarchique une réalité, dit M. Fuloria. Nous essayons d’introduire du langage dans notre documentation officielle pour cimenter encore plus solidement cette vision. »
Bien que les projets doivent adhérer à quelques principes organisationnels choisis, comme la nécessité d’opérer dans le secteur de la technologie et de fournir un produit de qualité à leurs clients, M. Fuloria estime que la structure de l’organisation laisse beaucoup de place à l’esprit d’entreprise.
« Nous pensons que nous avons vraiment créé quelque chose d’unique à travers notre structure entrepreneuriale, dit-il. »
La culture de Nagarro est également inhabituelle dans la mesure où l’entreprise n’a pas de siège officiel. Ses équipes collaborent entre Munich, Jaipur, Oslo, Dubaï et 31 autres villes. Chaque site dispose d’un bureau où le personnel peut se réunir, mais l’entreprise n’a pas de site central doté d’une autorité supérieure.
« Nous voulons être agiles et entreprenants et nous voulons avoir une influence mondiale, dit M. Fuloria. Les sièges sociaux ne sont pas agiles. Ils sont incompatibles avec notre vision de l’entreprise à rayonnement international, et ce ne sont pas des lieux qui se prêtent particulièrement bien à l’esprit d’entreprise. »
Malgré cette aspiration mondiale, Nagarro a tout de même dû s’adapter aux perturbations causées par la pandémie de COVID-19. Alors que l’entreprise dépendait de bureaux nationaux, Nagarro a dû investir plus consciemment dans les espaces numériques que ses employés occupent maintenant comme la plateforme Yammer, développée par Microsoft.
M. Fuloria reconnaît l’importance des espaces partagés au sein d’une structure physique comme une cafétéria ou un gymnase et il fait pression pour que Nagarro imite ces lieux de rencontre au sein de ses structures numériques. Chaque semaine, les employés de Nagarro se retrouvent autour un verre avec leurs collègues lors d’une vidéoconférence. L’entreprise propose également des réunions éducatives en ligne pour promouvoir la connexion.
« Pour construire une culture de travail, il n’y a rien de mieux que de passer du temps avec ses amis et ses collègues, fait remarquer M. Fuloria. Mais ces interactions n’ont pas besoin de se faire en personne pour être efficaces. »
Nagarro a eu plus de deux décennies pour perfectionner le travail virtuel auquel le monde s’adapte encore pendant cette pandémie. Selon M. Fuloria, la confiance — tant au sein d’une équipe qu’avec ses clients —est la qualité la plus importante à cultiver dans une entreprise qui opère à distance. Cette confiance provient en grande partie des interactions plus personnelles qui font que nos collègues ou nos clients ont le sentiment que nous sommes investis dans leur combat.
« La confiance prend beaucoup de temps à se construire et elle peut facilement se perdre, dit M. Fuloria. Il faut y travailler dur, mais cela rapporte. »
M. Fuloria est passionné par les valeurs de connexion et d’agilité que Nagarro promeut. Au début de sa carrière de consultant en gestion, M. Fuloria a été témoin d’innombrables inefficacités au sein de différentes entreprises. Il a vu « des gens intelligents se comporter stupidement, » au quotidien. Cette expérience a incité M. Fuloria à mettre l’accent sur le type d’optimisation innovante qu’il représente en tant que l’un des dirigeants de Nagarro.
L’entreprise est également animée par d’autres exemples de design d’entreprise originaux. M. Fuloria cite le concept de l’holocratie mis en place par l’entreprise Zappos et le système de « production juste-à-temps » de Toyota comme sources d’inspiration pour de nouvelles façons de faire des affaires ; cependant, il insiste sur le fait que chaque entreprise doit trouver un système qui est fidèle à ses propres valeurs.
« L’organisation d’une entreprise n’est pas facile à recopier, dit M. Fuloria. Il faut vivre les principes qui l’animent et faire en sorte que la culture de l’entreprise soit un facteur dans chaque aspect de ce que vous faites. Si vous ne croyez pas dans les concepts qui définissent cette structure, vous risquez de vous retrouver avec le pire des deux mondes. »
Karl Moore et Marie Labrosse. Karl est professeur associé à la Faculté de gestion Desautels et Marie est étudiante en maîtrise de littérature anglaise, tous deux à l’Université McGill.