Le S&P 500 a gagné 4,5% en mai. Seulement 10% sépare l'indice du sommet de février (Source: AvvisorPerspectives).
La dévastation humaine et économique de la pandémie n’a pas d’égale, mais pour les marchés il y a des raisons d’espérer que le rebond de 35% de la Bourse américaine ne soit pas un feu de paille.
Tour à tour cette semaine, divers stratèges et économistes ont cité une foule de facteurs qui les encouragent à croire que la reprise boursière peut continuer, même si d’autres secousses seront inévitables.
Chez Leuthold Group, Doug Ramsey, un observateur des entrailles boursières, surveille un seul chiffre à court terme : «Si le S&P 500 réussit à repasser la barre de 3386, soit le sommet de clôture du 19 février, le mouvement haussier actuel serait la première étape d’un marché haussier et non le deuxième plus fort rebond de l’histoire à l’intérieur d’un marché baissier», écrit-il.
Techniquement, l’élan boursier s’améliore puisque de plus en plus de titres participent à la hausse. Quelque 98% des titres du S&P 500 se négocient au-dessus de leur moyenne mobile de 50 jours. En Europe, 92% des titres ont aussi dépassé cette marque, du jamais vu depuis janvier 2017.
Historiquement, la Bourse s’apprécie 83% du temps, et engrange un gain moyen de 12,1% sur 250 jours lorsque autant de titres s’apprécient en tandem, selon Strategas.
Depuis le creux du 23 mars, on observe aussi que les titres de croissance fiables, de la technologie et de la santé, passent le bâton aux titres plus cycliques, boudés ou retardataires, en prévision d’une éventuelle reprise économique.
Ça ne veut pas dire que le ciel est dégagé pour autant, prévient Clément Gignac, économiste chez IA Groupe financier. Le choc des pertes d’emplois est si sévère que le marché du travail pourrait prendre des années à s’en remettre.
Bouée de sauvetage controversée, mais efficace
Dans l’intervalle, la Réserve fédérale joue son rôle de prêteur de dernier recours afin de donner aux entreprises de l’oxygène financier. En promettant dès la fin de mars d’acheter 750 milliards de dollars américains d’obligations de sociétés pour la première fois de son histoire, la banque centrale a ouvert grand la porte aux entreprises pour qu’elles se financent sur les marchés financiers. Et c’est le pactole: elles sont émis 1 000 milliards d’obligations de sociétés de première qualité en 149 jours, rapporte Bloomberg.
Plusieurs critiques déplorent cet incitatif à s’endetter davantage.
Dépendant de la reprise, cette orgie de dette au moment où «les flux de trésorerie baissent» pourrait entraîner des «décotes ou pire», a dit Steven Boothe, un spécialiste des obligations de sociétés chez T. Rowe Price, à Bloomberg.
S&P Global Ratings Research prédit que le taux de défaillance des obligations de pacotille (junk bonds) triple à 12,5%, d’ici mars 2021, ce qui représente 225 émetteurs.
Le tollé est naturel, mais il n’y a pas vraiment de remède aussi rapide que la financiarisation de l’économie dans une crise. Ça prend de l’argent sonnant pour payer ses employés et ses fournisseurs et éviter des pertes d’emplois permanentes et une dépression.
Cette semaine, le fabricant de véhicules récréatifs BRP (DOO, 47,68$) a mis au jour la réalité des affaires quand son PDG a précisé que 550 fournisseurs participeront à la reprise des activités de l’entreprise à partir du 1er juin.
La banque centrale américaine soutient aussi les obligations municipales et dévoilera bientôt un plan d’aide pour les PME.
La Fed n’est pas la seule à oxygéner l’économie mondiale qui a perdu l’équivalent de 10 000 milliards de dollars américains, depuis le début de la pandémie.
Quatre-vingt-une banques centrales ont annoncé 122 baisses de taux à ce jour en 2020.
Les gouvernements ont lancé d’énormes plans d’urgence et de soutient de 18 000 milliards de dollars américains, un total qui correspond d’ailleurs à la reprise de 15 000 G$US des Bourses mondiales depuis le 23 mars, fait remarquer Michael Hartnett, stratège américain en chef de Bank of America Securities.
Les deux derniers gouvernement en lice cette semaine, le Japon et l’Europe, ont annoncé des plans de relance de 1 100 G$US chacun, rapporte Douglas Porter, économiste en chef de la Banque BMO.
Même s’il n’y a «jamais de certitude en Bourse, l’histoire supporte les investisseurs », fait valoir M. Gignac dans son rapport hebdomadaire. Les actions n’ont jamais été aussi attrayantes par rapport aux obligations depuis 1940 si l’on compare le rendement des dividendes du S&P 500 à celui des obligations repères de 10 ans.
Les bémols
Bien sûr, après un rebond aussi vif, la Bourse risque de se buter à d’autres obstacles. Le stratège bien en vue de JPMorgan & Co., Marko Kolanovic tempère son optimisme à court terme.
Celui qui avait recommandé d’acheter des actions en mars craint que les investisseurs portent trop d’attention à la réouverture économique et pas assez au risque que pose la nouvelle «guerre froide» entre la Chine et les États-Unis pour l’économie et le commerce mondiaux.
La pandémie devient politisée, ajoute ce stratège. «De nouvelles perturbations dans le commerce mondial et la chaîne d’approvisionnement pourraient sérieusement tirer les actions vers le bas», a-t-il déclaré à Bloomberg.
Quand cet indicateur passe en zone d’euphorie, les probabilités d’une baisse a cours des 12 mois suivants passent à 70%. (Source: Citi Research)
Pour sa part, John Authers, chroniqueur britannique pour Bloomberg s’inquiète que le rebond boursier provienne surtout du rachat d’actions par les pros qui avaient misé sur une baisse des cours (short covering).
L’indicateur Euphorie/panique de dix variables de Citi Research signale aussi que la Bourse est entrée en zone d’euphorie. Cela présage historiquement un risque de 70% d’un recul des marchés dans les douze mois qui suivent, mentionne-t-il.
Joe Abbott de Yardeni Research n’est pas à l’aise non plus avec la remontée rapide de la Bourse qui est chèrement évaluée même sur la base des bénéfices projetés dans 18 mois au lieu de l’habituel 12 mois.
Le S&P 500 se négocie à un multiple de 21,5 fois les bénéfices prévus par les analystes dans 12 mois et 19,2 fois ceux projetés dans 18 mois.
«Il est possible que les analystes aient trop coupé leurs estimations étant donné que peu d’entreprises ont fourni des orientations. Il n’en reste pas moins que la Bourse est montée un peu trop haut et un peu trop vite à notre goût», dit-il dans un échange de courriels.
Le S&P 500 a dépassé la cible de 2900 qu’avait établi Yardeni Research pour la fin de 2020. «Nous aimerions rien de moins qu’avoir tort», blague le stratège quantitatif en chef.