L’Ordre des agronomes passerait à côté des enjeux de conflits d’intérêts vécus par les agronomes qui vendent des pesticides et des fertilisants, selon l'agronome Louis Robert. (Photo: 123RF)
BLOGUE. Dans une lettre ouverte, l’agronome Louis Robert revient à la charge sur le mode de rémunération des agronomes vendeurs.
Selon lui, le Rapport du comité sur l’indépendance professionnelle, réalisé à la demande de l’Ordre des agronomes, passe à côté des enjeux de conflits d’intérêts vécus par les agronomes qui vendent des pesticides et des fertilisants, des produits qui sont parfois très nuisibles à l’environnement et à la santé publique. En témoignent les effets des néonicotinoïdes sur les abeilles et les maladies développées par certains agriculteurs.
Puisque ces agronomes bénéficient d’une rémunération incitative, ils se retrouvent placés dans une situation où leur jugement professionnel peut être influencé par des considérations personnelles, qui ne relèvent ni de l’intérêt du client ni de l’intérêt du public.
Le Rapport du comité sur l’indépendance professionnelle a fait plusieurs recommandations pour séparer les actes professionnels et les actes de vente: proscrire les modes de rémunération liés à la vente, éliminer la rémunération incitative et instituer une traçabilité de tous les actes agronomiques, de la facturation jusqu’au dossier du client.
L’Ordre des agronomes a dit prendre la situation au sérieux. Il va donner de la formation en éthique et en déontologie, publier des grilles de références et des lignes directrices pour gérer les conflits d’intérêts, renforcer son système d’inspection professionnelle et « régulariser les programmes de rémunération des agronomes auprès des employeurs ». On entend ici par employeurs les distributeurs et détaillants de fertilisants et de pesticides, pour lesquels travaillent des agronomes.
Selon Louis Robert, ces mesures sont insuffisantes. D’une part, l’Ordre se refuse à bannir le double statut de conseiller et de vendeur, et, d’autre part, rien n’empêchera les fabricants (tels que Monsanto, Bayer, BASF, etc.) de donner des rabais ou des ristournes qui pourraient être refilés aux agronomes vendeurs. En outre, les fabricants et les détaillants pourraient aussi accroître les marges de profits des agronomes vendeurs, qui continueraient leur métier sans perdre au change.
Deux enjeux qui influencent l’industrie
Le combat de Louis Robert contre l’influence de l’industrie porte sur deux enjeux principaux :
1. L’influence de l’industrie sur les projets de recherche en agriculture, alors que ceux-ci sont surtout financés par l’État. Ses représentants ne veulent pas de projets qui seraient nuisibles aux producteurs agricoles ou qui feraient augmenter leurs coûts et nuiraient à leur compétitivité. Ce combat a permis de réduire l’influence de ces lobbyistes, mais il a valu à Louis Robert une «chasse aux sorcières» qui a résulté en un congédiement illégal et injustifiable comme fonctionnaire au ministère de l’Agriculture. Il a retrouvé son emploi quelques mois plus tard après avoir obtenu des excuses du premier ministre du Québec, François Legault.
2. Les conflits d’intérêts dans la profession agronomique, a amené M. Robert à se présenter à la présidence de l’Ordre des agronomes du Québec. Il a reçu 49,6 % des voix exprimées, comparativement à 50,4 % pour le président sortant, Michel Duval, soit un écart de seulement de 15 voix. Sur les 3314 membres de l’Ordre lors de l’élection en mai dernier, 1 927 ont voté, ce qui a donné un taux de participation de 58%. Étant donné que l’enjeu de la rémunération était au cœur de l’élection, il est certain que les agronomes vendeurs ont été plus nombreux à voter pour protéger le statu quo que ceux qui voulaient une réforme substantielle de cette pratique. Michel Duval a lui-même fait carrière dans la vente.
La protection du public
La mission des ordres professionnels est la protection du public. Cela signifie que ces organismes d’autorégulation des professions doivent s’assurer que leurs membres placent la protection du public et les intérêts de leurs clients au premier rang de leur acte professionnel.
Pour certaines professions, les notions de conflits d’intérêts réels, apparents ou potentiels ne doivent pas être des abstractions. Ne mentionnons ici que l’agronomie, dont les membres conseillent et vendent, la médecine vétérinaire, dont les membres soignent et vendent des médicaments, ainsi que les optométristes, dont les membres prescrivent des soins et vendent des produits.
La gestion de ces enjeux requiert des codes de déontologie (normes, règles) précis et étanches que les ordres se doivent de faire respecter le plus possible. Il faudra toutefois encore plus, à savoir une éthique à toute épreuve de leurs membres, ce qui est encore plus important, tout compte fait.
Voilà pourquoi, il est très difficile pour les ordres professionnels de se doter d’un code de conduite digne de ce nom et que la tentation est très forte de procrastiner à ce sujet.
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N.D.L.R. Dans ce blogue, Jean-Paul Gagné* traite de défis et d’enjeux de gouvernance. Il s’inspire d’événements d’actualité ou encore de situations courantes relatives à la gouvernance. Il en tire des leçons et des pratiques inspirantes.
* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l’ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)