Inflation: l’enjeu est le manque de concurrence, pas la cupidité
Sylvie Cloutier|Publié le 05 janvier 2023L’inflation alimentaire surpasse d’ailleurs de loin l’indice des prix à la consommation. (Photo: ndr pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. L’inflation alimentaire a défrayé les manchettes en 2022. L’explosion des prix a même donné lieu à une motion du Nouveau parti démocratique (NPD) à Ottawa dénonçant l’industrie, sans parler du Bureau de la concurrence du Canada et du Comité permanent de l’agriculture et de l’alimentation qui se penchent actuellement sur la hausse des prix.
L’inflation, qui affecte le portefeuille des consommateurs, restera donc un enjeu d’une brûlante actualité en 2023. Pas besoin de rappeler l’inflation particulièrement élevée du coût des aliments. La hausse du prix des aliments n’a jamais été aussi élevée et rapide depuis les 40 dernières années.
L’inflation alimentaire surpasse d’ailleurs de loin l’indice des prix à la consommation (IPC).
De plus, si historiquement les augmentations du coût des aliments passaient au second plan par rapport à d’autres postes de dépense comme l’essence, les prix des aliments dans les épiceries deviennent aujourd’hui l’un des principaux moteurs de l’inflation.
Avec la réduction de leur pouvoir d’achat, les consommateurs les moins nantis se retrouvent devant des choix difficiles et incertains.
L’étincelle de départ des études des deux comités ci-haut mentionnés a été provoquée par la motion du NPD, adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes en octobre 2022.
Elle demandait au gouvernement fédéral de s’attaquer à «la cupidité des entreprises» dans le secteur de l’épicerie.
À ce moment, le public apprenait que les grands détaillants alimentaires avaient engrangé des profits plus élevés que la moyenne des dernières années. En pleine inflation alimentaire, c’était plutôt difficile à comprendre!
Il faut nuancer
Il faut toutefois préciser une chose importante concernant ces grands détaillants.
Ces derniers possèdent aussi des bannières non alimentaires, par exemple des pharmacies, dont les marges bénéficiaires sont plus élevées que celles des épiceries.
Les profits annoncés à l’automne englobaient donc la totalité des activités de ces grands groupes — pas seulement l’alimentation.
Les fournisseurs de ces détaillants, notamment les transformateurs alimentaires, subissent aussi plusieurs pressions de leur côté.
Ils se débattent avec des marges de moins en moins importantes, des exigences accrues de la part de leurs clients et une hausse du coût de leurs propres intrants.
On parle ici des ingrédients ainsi que des emballages et de tout autre produit et service servant à fabriquer votre nourriture.
On comprend donc que l’année 2022 a été source de chambardements importants dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire internationale.
Non seulement les grains d’un des plus importants producteurs au monde (l’Ukraine) ont fait défaut une partie de l’année en raison de l’invasion russe, mais plusieurs pays ont aussi restreint les exportations de leurs produits alimentaires utilisés ici par nos entreprises.
Si cette pénurie d’intrants en provenance de l’étranger peut représenter une opportunité pour des entreprises canadiennes, il reste que l’économie globale de l’alimentation est profondément déstabilisée.
Et cela se répercute sur les coûts pour les fabricants et les consommateurs.
La concurrence au Québec et au Canada
Au Canada, la Loi sur la concurrence établit certains principes directeurs afin de protéger et faciliter la concurrence et l’innovation entre les entreprises.
Afin de prévenir tout abus et toute collusion, Ottawa a mis sur pied le Bureau de la concurrence du Canada, organisme de surveillance indépendant de tout ministère.
Sa mission est de recommander des mesures que les gouvernements peuvent prendre pour contribuer à améliorer la concurrence dans chaque secteur économique.
Concernant l’inflation des prix des aliments, le Bureau se penchera «sur la concurrence dans le secteur de l’épicerie et les raisons pour lesquelles les prix sont si élevés actuellement».
L’étude, dont les conclusions devraient être livrées en juin 2023, examinera dans quelle mesure la hausse des prix des épiceries est liée à l’évolution de la dynamique concurrentielle dans le secteur.
Les pouvoirs du Bureau sont cependant limités. Il ne peut forcer les parties prenantes à fournir des documents et des données qu’ils utilisent pour établir leurs prix.
De plus, le Bureau n’a pas de pouvoir exécutoire.
De son côté, le Comité permanent sur l’agriculture et l’alimentation souhaite aussi faire la lumière sur «les moyens par lesquels la chaîne d’approvisionnement alimentaire peut contribuer à réduire la hausse du coût des aliments».
Deux mandats distincts, mais complémentaires.
Et après?
La concentration des joueurs de l’industrie de la distribution alimentaire inquiète clairement les pouvoirs publics.
Il est certain qu’une plus grande concurrence — un plus grand nombre d’acteurs dans ce secteur — favoriserait le pouvoir de négociation des fournisseurs. Or, actuellement, ce pouvoir qui se trouve fortement restreint puisque les acheteurs jouent de leur hégémonie dans ce marché hautement concurrentiel.
Le travail de ces comités aura le mérite de faire, je l’espère ardemment, toute la lumière sur ces importants enjeux pour les consommateurs et toute l’industrie alimentaire.
Attendons les conclusions des travaux de ces comités pour bien comprendre et saisir les dynamiques en jeu dans notre économie.