Intégrité des marchés publics : On vous a à l’oeil!
Événements Les Affaires|Publié le 28 janvier 2019Quelque 33 milliards de dollars en contrats publics de 25 000 $ et plus ont été octroyés au Québec en 2016-1017, en incluant ceux des municipalités. Une manne pour les entreprises qui doivent toutefois montrer patte blanche pour y avoir accès. Éric René, commissaire associé aux vérifications de l’intégrité des entreprises de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), est venu expliquer le mandat de son équipe lors de la conférence Contrats publics, présentée par les Événements Les Affaires le 22 janvier dernier.
Quand une entreprise dépose une demande d’autorisation de contracter auprès de l’Autorité des marchés publics (AMP), c’est l’UPAC qui vérifie son intégrité.
« Nos pouvoirs sont larges, a souligné Éric René. On peut aller dans l’entreprise et exiger l’accès à des documents, aux ordinateurs, aux livres. Pour obtenir de l’information, on peut aussi s’adresser à des tiers, comme des clients de l’entreprise ou son institution financière. » Ces pouvoirs sont toutefois utilisés dans des cas d’exception, lorsqu’une lumière rouge est allumée et que l’entreprise se fait prier pour collaborer.
Lors du processus habituel, l’UPAC demande à ses partenaires — Commission de la construction du Québec, Sûreté du Québec, Revenu Québec et Régie du Bâtiment — de vérifier dans leur banque de données respective les informations dont ils disposent sur l’entreprise, ses dirigeants et ses actionnaires.
Un analyste de l’UPAC étudie ensuite le dossier et produit un rapport. Le délai moyen de traitement est de 45 jours, mais s’étire parfois sur plus d’une année dans des cas complexes.
« Quand une entreprise a un actionnaire unique et que nos partenaires ne signalent rien d’inquiétant à son égard, son dossier se traite rapidement, a affirmé Éric René. Mais lorsqu’il s’agit d’une multinationale avec une multitude de filiales à l’étranger et un organigramme compliqué, c’est plus long. J’ai un cas en tête où il avait fallu faire traduire la décision d’un tribunal polonais concernant une accusation de collusion. »
Oui ou non ?
Si le rapport conclut que l’entreprise est intègre, l’UPAC émet un avis favorable à l’intention de l’AMP. Ça se passe ainsi pour 90 % des entreprises qui font une demande d’autorisation de contracter. L’an dernier, l’avis a été négatif pour seulement 382 entreprises, a indiqué Éric René.
« Il y a toujours des demanderesses qui essaient de négocier avec nos analystes pour obtenir un rapport positif. Mais ce n’est pas notre rôle d’avoir ces discussions. Ça doit se faire avec l’AMP, car elle seule peut demander des correctifs à l’entreprise. Elle prend aussi la décision finale d’accorder ou non l’autorisation de contracter. »
3 conseils
Votre entreprise veut demander une autorisation ou la renouveler ? Vous êtes un donneur d’ouvrage ? Éric René a formulé trois conseils.
Faites preuve de rigueur. Souvent, le traitement d’un dossier est retardé parce que l’entreprise a fourni de l’information qui n’est pas à jour ou qui ne reflète pas la réalité. « Par exemple, elle nous remet un organigramme qui ne concorde pas avec l’information de son site web ou de celle du Registraire des entreprises. »
N’attendez pas à la dernière minute. « On reçoit régulièrement des demandes d’autorisation d’entreprises paniquées parce qu’un appel d’offres prend fin dans 15 jours, a dit Éric René. Mais ce n’est pas une raison pour leur accorder la priorité. »
Aux donneurs d’ouvrages : vérifiez si le soumissionnaire figure bien au Registre des entreprises autorisées à contracter (REA). « Des contrats sont parfois donnés à des entreprises qui n’ont pas encore leur autorisation, a-t-il constaté. Or, elles ne pourront pas commencer les travaux tant qu’elles ne l’auront pas. » Une autre situation fréquente : l’entreprise qui obtient le contrat fait appel à des sous-traitants inscrits au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA). « Soyez vigilants et faites une dénonciation », a conclu le représentant de l’UPAC.
Mon produit est aussi bon que le tien !
Les nouvelles dispositions du projet de loi 155 sur les spécificités techniques et la notion d’équivalence embêtent plusieurs municipalités, selon l’avocat Sébastien Laprise, associé chez Langlois, qui animait une discussion lors de la conférence Contrats publics.
« Quand les municipalités lancent un appel d’offres, elles doivent maintenant permettre l’équivalence. Ça pose une réelle difficulté, car la loi est silencieuse sur la façon d’évaluer l’équivalence. » S’il y a une plainte ou une enquête, comment sera traité ce genre de dossier ?
« Notre travail consiste à vérifier si les exigences de l’appel d’offres sont justifiées et n’ont pas pour but de privilégier un fournisseur, a répondu Brigitte Bishop, inspectrice générale du Bureau de l’inspecteur général de la ville de Montréal (BIG). Ça ne veut pas dire que la ville ne pourra plus faire affaire avec des fournisseurs de longue date. Par exemple, s’il s’agit d’un système informatique, il faut tout de même une compatibilité avec les systèmes existants. Chaque cas est un cas d’espèce. »
Si cette nouvelle obligation d’équivalence a été instaurée, « c’est parce qu’il y avait trop d’appels d’offres dirigés vers un fournisseur », a souligné Michel Forget, inspecteur général adjoint au BIG. « Plus il y a de la concurrence, mieux c’est. »
Pierre Brochet, directeur du Service de police de Laval et du Bureau d’intégrité et d’éthique de Laval, a salué également ce changement à la loi. « À Laval, on a payé des contrats de 20 à 30 % trop cher parce qu’il y avait de la collusion pour réduire le nombre de fournisseurs. Avec la notion d’équivalence, on ouvre le marché. C’est trop facile de tomber dans une routine et d’acheter toujours les mêmes produits sans se poser de questions. Maintenant, un questionnement doit se faire. »