Intelligence artificielle: 5 tendances qui changeront l’assurance
Jean-François Gagné|Publié le 18 février 2019(Photo: 123rf.com)
BLOGUE INVITÉ. Avec plusieurs années de retard sur le secteur bancaire, la transformation numérique du monde de l’assurance bat son plein et nous offre maintenant la possibilité d’effectuer un nombre de plus en plus important de transactions en ligne.
D’autres changements fondamentaux viennent redéfinir l’assurance telle qu’elle fonctionne depuis près de 300 ans, alors que le concept de souscription en assurance maritime prenait naissance à Londres dans le «coffee house» d’Edward Lloyd.
Les technologies de l’IA d’aujourd’hui nous permettent d’extraire l’information de données complexes, non-structurées et ainsi de mieux comprendre les liens entre ces différents risques et de nous assurer contre ceux-ci.
Plusieurs nouveaux joueurs, appelés assurtechs, qui maîtrisent bien les techniques d’intelligence artificielle et les technologies numériques et disposent d’un accès privilégié à certaines données importantes, font leur entrée dans les marchés de divers produits d’assurance et viennent gruger les parts des assureurs traditionnels.
Pour ces derniers, trois possibilités: acheter ou investir dans ces assurtechs, établir des partenariats, ou se transformer eux-mêmes en assurtechs. Quelle que soit l’avenue choisie, les assureurs accélèrent le pas et l’industrie est en profonde mutation.
Le processus de réclamation de demain sera bien différent de celui d’aujourd’hui: traditionnellement, gérer une réclamation pouvait s’avérer lourd et coûteux pour l’assureur, qui devait associer à un incident des nuances précises dans la couverture prévue par la police d’assurance. En contraste, le traitement automatisé des réclamations peut augmenter et accélérer drastiquement le processus.
Par exemple, un client pourrait envoyer une photo d’un véhicule accidenté et espérer être payé rapidement, en quelques heures – voire minutes – plutôt qu’en plusieurs semaines, après maints appels et formulaires remplis. Ce type d’automatisation peut s’appliquer à des réclamations plus complexes que celle décrite précédemment et permet aussi à l’assureur de redéployer ses ressources vers le service à la clientèle. Cela permet de traiter les situations qui requièrent vraiment les compétences, le jugement et l’empathie des ajusteurs de sinistres au moment où les assurés vivent des situations parfois angoissantes.
Dans la même foulée, les calculs actuariels de tarification qui servent à établir le coût de l’assurance évoluent. Au fur et à mesure que nous progressons vers l’arrivée de la voiture pleinement autonome, nos véhicules sont munis d’un nombre croissant de capteurs qui relaient des informations aux algorithmes d’intelligence artificielle afin qu’ils puissent prendre en charge des tâches de plus en plus complexes. Donc le risque d’accident dépend de plus en plus des algorithmes d’intelligence artificielle installés dans le véhicule par le manufacturier et de moins en moins des aptitudes du conducteurs.
Le manufacturier étant le mieux positionné pour évaluer le risque d’accident de ses propres véhicules, il devient naturel et logique que l’assurance soit incluse dans le prix d’achat, devenant en quelque sorte une forme de garantie offerte par le manufacturier.
Ce qui s’en vient.
Voici cinq tendances importantes qui changeront le visage de l’assurance au cours des prochaines années:
L’expérience client
Les services offerts en ligne, notamment les transactions bancaires et achats de divers biens, nous ont habitué à une simplicité et une convivialité que l’industrie de l’assurance peine à offrir, encore aujourd’hui.
Par exemple, le processus de souscription à une police d’assurance habitation oblige le consommateur à répondre à plusieurs questions auxquelles il n’a pas toujours réponse.
Il lui faut ensuite effectuer une série de choix par rapport à la couverture appropriée (déductibles, limites, avenants, etc.). De plus en plus, les assureurs tentent de répondre par eux-mêmes à la majorité des questions par le biais de sources de données externes et proposent des recommandations en fonction du profil du consommateur et de la gamme d’options disponibles.
La pertinence de cette personnalisation de l’offre dépend beaucoup de la capacité de l’assureur à générer – en temps réel – une vue complète de l’ensemble des besoins du clients en fonction des transactions précédentes appelée «vue à 360 degrés du client».
C’est donc en combinant des données internes et externes de qualité, une transformation numérique et l’intelligence artificielle que l’industrie de l’assurance parviendra à rejoindre les autres industries et à nous offrir ses produits et services n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel appareil, tout en nous donnant cette sensation à laquelle Netflix et Amazon nous ont habitué: on nous connaît bien.
IdO et données
L’internet des objets, l’ensemble de ces appareils connectant nos maisons, nos automobiles et même nos vêtements, génère des tonnes de données à partir desquelles les assureurs peuvent personnaliser leur relation avec le consommateur comme jamais auparavant. Pour beaucoup d’entre nous, la relation avec notre assureur se limite à cette lettre annuelle qui nous fait lever les yeux au ciel.
Arrivent les montres intelligentes et connectées permettant de quantifier notre activité physique et autres paramètres de notre santé. En 2017, l’assureur américain John Hancock (détenu par Manuvie) rapportait que ses assurés, membres du programme Vitalité, participaient au programme en moyenne 22 fois par mois, soit presque quotidiennement. Ces points de contact réguliers démontrent un engagement important du client dans le programme et ouvrent la porte à l’assureur pour qu’il entre en contact avec le client, à des fins diverses.
L’automne dernier, fort de ce succès, John Hancock annonçait que toutes les nouvelles polices d’assurance-vie feraient partie du programme Vitalité. Outre l’engagement, cette quantité importante de données fournies par les objets connectés, combinée à l’intelligence artificielle, permet aux assureurs de mieux quantifier les risques et d’ajuster la tarification en conséquence.
Nouveaux joueurs et intégration verticale
La lenteur des assureurs à prendre le virage numérique et à utiliser le levier des objets connectés a permis à un nombre important de joueurs d’entrer dans le marché de l’assurance.
Certains offrent un produit d’assurance innovant, comme Lemonade aux États-Unis pour l’assurance habitation de locataires ou Metromile qui propose une assurance automobile dont le tarif est un multiple du nombre de kilomètres parcourus.
Ces joueurs s’attaquent aux parts de marché des assureurs traditionnels. D’autres joueurs, tels Vitalité, offrent des plateformes qui s’intègrent aux autres systèmes déjà en place. Ils tirent leurs revenus en venant gruger une portion de la chaîne de valeurs des assureurs. Amazon offre depuis peu la possibilité aux assureurs de vendre certains produits d’assurance sur son site.
Sans aucun précédent de par sa taille, la récente acquisition de l’assureur Aetna par les pharmacies CVS pour la somme de 69 milliards $US donne l’exemple d’une intégration verticale qui permettra à l’entité combinée d’offrir une gamme beaucoup plus étendue de produits et services, tirer partie de synergies opérationnelles et surtout de faire levier – en supposant une intégration réussie – d’une base de données d’une ampleur spectaculaire.
L’an dernier, Amazon, Berkshire Hathaway et JP Morgan annonçaient leur partenariat visant à offrir aux employés des trois entreprises – au nombre de 1 million – une solution en assurance santé. Ces acquisitions et partenariats stratégiques redéfinissent les frontières des entités reconnues comme assureurs et cette tendance risque de se poursuivre dans les prochaines années dans les marchés qui le permettent, de par la législation.
Dématérialisation de l’économie
L’analyse des bilans des titres du S&P500 permet de constater que les actifs détenus par ces entreprises étaient, en 1975, à 17% intangibles (propriété intellectuelle, image de marque, données, logiciels, etc.). En 2015, cette proportion d’actifs intangibles était passée de 17% à 84%. Cette transition vers des actifs et des services intangibles est en partie basée sur une infrastructure informatique qui soutient le transit d’énormes quantités de données numériques dans notre économie.
Avec ce changement vient un nouveau type de risque associé contre lequel nous apprenons encore à nous défendre et contre lequel il est beaucoup plus difficile de s’assurer: le risque d’une cyberattaque. Un rapport de 2017 de la firme Lloyds montre que 92% de toutes les entreprises ont été victime d’une atteinte à la protection des données au cours de la dernière année. Or, alors que les primes de cyber assurance étaient de 3 milliards $US en 2016, les coûts engendrés par les cyberattaques étaient de 450 milliards $US dans cette même année, ce qui fait dire au chef de Aon que l’industrie de l’assurance perd de sa pertinence.
Alors que les assureurs peinent à réussir dans les marchés traditionnels et tangibles de l’assurance auto et habitation, de vastes opportunités s’offrent à eux du côté des actifs intangibles et ce domaine devrait voir l’apparition d’une famille de nouveaux produits dans les prochaines années.
Prévention des réclamations
Traditionnellement, les assureurs n’ont toujours entretenu qu’un nombre limité de points de contact importants avec leurs assurés: souscription, renouvellements annuels et réclamations.
À l’exception des réclamations complexes, la grande majorité de ces interactions se trouve confinée à un rôle transactionnel: échange d’information et de flux financiers.
Dans ce contexte, l’assureur joue son rôle principal et traditionnel de mécanisme de mise en commun des risques et c’est principalement par le biais de rabais que l’assureur incite les assurés à adopter les bons comportements: pose de pneus d’hiver, installation de systèmes antivol, pose de clapets anti-retour pour éviter les refoulements d’égouts, etc. À l’opposé, les comportements à éviter comme le tabagisme se voient attribuer des surcharges en assurance-vie.
Aujourd’hui, l’IdO permet aux assureurs d’accéder, potentiellement en temps réel, à l’information leur permettant de détecter l’apparition de facteurs de risque importants et d’intervenir afin de prévenir certaines réclamations.
En mars 2017, Desjardins faisait l’annonce de son programme Alerte selon lequel un assuré reçoit gratuitement un détecteur permettant d’identifier une fuite d’eau. En cas de fuite, Desjardins envoie un signal d’alerte sur le téléphone de l’assuré, lui permettant d’intervenir rapidement et de prévenir les dommages importants.
Au printemps dernier, Intact annonçait son partenariat avec Truemotion pour le déploiement d’une solution télématique permettant, entre autres, de détecter la conduite distraite, fléau en croissance qui – si la tendance se maintient – surpassera sous peu l’alcool au volant en tant que plus importante cause de décès sur nos routes. Intact peut aujourd’hui alerter ses assurés lorsque l’application de Truemotion détecte une conduite distraite, permettant ainsi de prévenir des accidents automobiles.
Donc, grâce aux données générées par les risques connectés et traitées par l’intelligence artificielle, l’assureur voit son rôle fondamentalement redéfini d’un mécanisme de mise en commun des risques vers celui d’un gestionnaire de risque pour ses clients. Dans les prochaines années, les assureurs prendront un rôle beaucoup plus proactif afin de nous aider à prévenir les réclamations en nous incitant à adopter des comportements limitant les risques.
Un bémol en guise de conclusion
Les assureurs qui travaillent avec l’IA apporteront des améliorations majeures dans les produits qu’ils offrent à leurs clients, qui eux s’attendent de plus en plus à vivre une expérience simple, automatisée, numérisée et personnalisée.
Mais il reste tout de même plusieurs questions sans réponses et des conséquences sociales sur lesquels nous devrons réfléchir avant que les avantages ne soient diffusés à l’échelle de façon équitable.
L’assurance est un marché compétitif, et chaque joueur cherche à surpasser ses pairs, alors nous devons trouver des balises en tant que société pour éviter les dérapages. Par exemple, jusqu’où un assureur peut-il aller avec la personnalisation d’une couverture sans tomber dans la discrimination? Comment s’assurer que tous les clients du marché, même les plus risqués, soit couverts?
Un défi majeur pour les compagnies d’assurance sera d’établir une relation avec les clients afin de bien leur faire comprendre comment leurs données seront utilisées, et aussi obtenir leur confiance quant aux aspects de leur vie privée qu’on leur demande de partager.
Les lois devront jouer un grand rôle, mais il en revient aussi aux compagnies de gagner la confiance des clients, qui eux seront en droit de recevoir des comptes et de les tenir responsables.