Un soldat paramilitaire russe à l'extérieur d'une base militaire ukrainienne près de la ville de Simferopol en Crimée, le 6 mars 2014, en Ukraine. (source photo: Getty)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE – En géologie, les failles actives sont responsables des tremblements de terre. En relations internationales, les «failles géopolitiques» sont responsables des tremblements de terre politiques (tensions, guerres civiles, conflits entre États). Or, savez-vous vraiment où elles se trouvent dans le monde et si votre organisation est exposée à l’une de ces failles?
Le concept de failles géopolitiques a notamment été développé par l’analyste géopolitique George Friedman, fondateur de la société d’intelligence d’affaires Stratfor. Les entreprises et les investisseurs institutionnels utilisent les rapports et les prévisions de la firme pour mieux évaluer et réduire leurs risques géopolitiques.
George Friedman explique bien ce concept dans son essai The Next 100 years (a Forecast for the 21st Century), qu’il a publié en 2009, et dont une mise à jour pour certains éléments a été faite en 2015.
La fondateur de Stratfor en identifie cinq :
- le bassin du Pacifique
- l’Eurasie
- l’Europe
- le monde arabo-musulman
- les relations entre les États-Unis et le Mexique
Bien entendu, le concept de failles géopolitiques ne signifie pas que l’une de ces régions est à risque d’être le théâtre de tensions violentes, de guerres civiles ou de conflits interétatiques demain matin.
Regardons maintenant ces cinq failles d’un peu plus près (les images sont tirées du livre The Next 100 years).
Première faille – le bassin du Pacifique
La marine américaine domine et police l’océan Pacifique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Du côté de l’Asie-Pacifique, la région abrite des nations commerçantes qui ont besoin d’un accès à la haute mer, rendant ces pays dépendants des États-Unis qui y assurent la libre circulation des navires et des marchandises.
Selon George Friedman, deux puissances économiques de la région, la Chine et le Japon, pourraient potentiellement contester un jour l’hégémonie américaine -du reste, les Chinois ont du reste déjà commencé à le faire ces dernières années.
De 1941 à 1945, la Guerre du Pacifique entre les États-Unis et le Japon (qui était alors l’allié de l’Allemagne nazie) visait justement le contrôle du bassin du Pacifique.
Le contrôle de cette région du monde demeure toujours un enjeu. La Chine, par exemple, ne pourrait tout simplement pas se permettre qu’un jour la marine américaine entrave ou bloque la libre circulation de ses exportations et de ses importations à l’occasion d’une crise entre Pékin et Washington.
Non seulement l’économie en pâtirait, mais cette situation pourrait destabiliser le pays et miner l’autorité du parti communiste chinois.
Deuxième faille – l’Eurasie
L’avenir de l’Eurasie (le bloc continental formé par l’ensemble des continents asiatique et européen) demeure incertain, à commencer par son centre, depuis l’effondrement de l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), en 1991.
Depuis la fin de la guerre froide, la région s’est fragmentée et s’est décomposée, souligne le fondateur de Stratfor.
Le successeur de l’Union soviétique, la Russie, a connu une renaissance et garde une certaine influence politique dans la région. Par contre, la Russie n’a pas la puissance qu’avait l’ex-URSS à son zénith, ce qui lui permettait de stabiliser le cœur de l’Eurasie.
De plus, la création d’une nouvelle sphère d’influence russe dans la région n’est pas sans risque de provoquer un conflit ou des tensions avec les États-Unis et des puissances européennes comme la France, l’Allemagne ou la Pologne.
Troisième faille – l’Europe
Des doutes subsistent toujours en ce qui a trait au cadre politique ultime de l’Europe, affirme George Friedman.
Pendant 500 ans, le vieux continent a été le théâtre de guerres constantes, et ce, jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Après 1945, les Européens ont plutôt consacré leur énergie à créer une confédération (un regroupement d’États souverains) afin d’éviter qu’une autre guerre enflamme l’Europe.
Cette stratégie a bien fonctionné depuis, rendant impossible une guerre entre la France et l’Allemagne, par exemple.
Malgré tout, les Européens font face à plusieurs défis, à commencer par la renaissance de la Russie, qui veut accroître son influence en Europe orientale. L’annexion de la Crimée (une région de l’Ukraine) par la Russie, en 2014, en est un bel exemple.
De nouvelles tensions entre États ou à l’intérieur des États mêmes sont aussi un risque à surveiller, comme en témoigne la montée des partis d’extrême gauche et droite ou l’avènement de démocraties «illibérales» et autoritaires en Pologne et en Hongrie.
Bref, si une guerre est improbable, il ne faut toutefois pas exclure une montée des tensions politiques et de l’instabilité en Europe.
Quatrième faille – le monde arabo-musulman
L’instabilité politique dans la région n’est pas l’enjeu principal, selon George Friedman.
Le risque réside plutôt dans l’émergence d’un État-nation fort qui, indépendamment de son idéologie, pourrait constituer la base d’une coalition de pays au Moyen-Orient.
Et la Turquie, pays de 80 millions d’habitants et 19e économie mondiale selon le Fonds monétaire international, pourrait potentiellement devenir cet État fort.
Historiquement, la Turquie (l’Empire ottoman jusqu’en 1922) a été le principal centre du pouvoir dans le monde arabo-musulman. À son apogée, cet empire englobait l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et le sud-est de l’Europe, incluant une partie de la Hongrie.
Aujourd’hui, la Turquie est un pays jeune, dotée d’une économie qui se modernise et dont l’armée figure parmi les 10 plus puissantes au monde, selon le classement mondial des forces armées du Global Firepower 2017.
Quel est l’avenir de ce pays -membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord– et son rôle géopolitique dans la région?
Difficile à dire, mais il a certainement le potentiel de changer la donne au Moyen-Orient.
Cinquième faille – les relations entre les États-Unis et le Mexique
George Friedman précise d’emblée que le statut du Mexique ne devrait pas normalement ne devrait pas atteindre le niveau d’une faille géopolitique mondiale. Par contre, sa localisation rend ce pays important «au-delà de son pouvoir évident».
Le Mexique compte 129 millions d’habitants et la taille de son PIB en fait la quinzième économie mondiale, selon le FMI.
Même si le Mexique et les États-Unis sont des alliés, les deux pays -on l’oublie souvent- se sont faits la guerre pour la domination de l’Amérique du Nord, entre 1846 à 1848. Aujourd’hui, un conflit armé entre les deux pays semble impensable.
Par contre, des tensions existent à propos de la frontière et du mouvement des personnes, tensions qui se sont accentuées depuis l’élection de Donald Trump qui veut construire un mur entre les deux pays.
Que nous réserve l’avenir, si par exemple les migrations de personnes en provenance de l’Amérique centrale à destination des États-Unis s’accentuent en raison des changements climatiques?
«Étant donné l’impact d’une confrontation potentielle sur l’enjeu de la frontière, il ne fait aucun doute que cette ligne de faille doit être prise au sérieux», écrit George Friedman.
À l’instar des failles géologiques actives, les failles géopolitques représentent un risque. Ce risque ne doit toutefois pas paralyser les organisations dans leurs activités à l’international.
Par contre, le fait d’être actif au coeur ou en périphérie d’une de ces failles accroît le risque d’être touché par un tremblement de terre politique.
C’est pourquoi les entreprises et les investisseurs ont tout intérêt à y réfléchir et à en tenir compte dans leur planification stratégique, ce qui inclut les mesures à mettre en place pour réduire ce risque, et ce, de la diversité de leurs marchés à leurs chaînes d’approvisionnement.