Interventionnisme excessif de l’État et pertes financières vont de pair
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑octobre 2024(Photo: Marcus Brandt / DPA / AFP)
CHRONIQUE . Le modèle économique québécois repose sur deux grands piliers : un filet de protection sociale inégalé au Canada et un interventionnisme étatique étendu dans l’économie, qui accroît le risque de pertes financières.
Ce modèle s’accompagne d’un fardeau fiscal élevé en comparaison du standard nord-américain. En revanche, il procure à l’économie québécoise une certaine résilience devant les soubresauts de l’économie.
La publication récente de deux rapports annuels aide à évaluer la portée et la répercussion de l’interventionnisme dans l’économie. Ces rapports sont ceux d’Investissement Québec (IQ) et du Fonds du développement économique (FDE). Ce fonds, qui a été créé en 2011 pour financer des projets d’entreprises à risque élevé, est géré par IQ. Pour cette raison, ses états financiers ne sont pas consolidés dans ceux d’IQ.
IQ appuie financièrement les entreprises par des prêts, des prises de participation dans leur actionnariat et d’autres instruments financiers pour les aider à se développer, à accroître leur productivité, à innover, à conquérir de nouveaux marchés et à les conseiller en matière de gestion. IQ ne verse pas de subventions, contrairement à plusieurs ministères et organismes qui en font pleuvoir pour des milliards de dollars dans toutes sortes de domaines.
L’autre grand instrument financier de l’État est la Caisse de dépôt et placement (CDPQ), qui détient plus de 50 milliards de dollars (G $) d’actions d’entreprises, de prêts, d’infrastructures et d’actifs immobiliers au Québec. Ces investissements colossaux ont permis à des entreprises de devenir d’importantes multinationales (telles CGI, WSP, AtkinsRéalis, Couche-Tard, BRP, etc.). Œuvrant au bénéfice des fonds qui lui confie des avoirs financiers, la CDPQ est indépendante de l’État pour ses investissements. Aucune autre province ne possède un levier aussi puissant pour propulser ses entreprises.
La portée et la puissance de cet écosystème financier font en sorte qu’il ne se réalise presque plus de projets industriels et technologiques au Québec sans une aide de l’État. Des questions se posent. Risque-t-on de créer une dépendance des entrepreneurs envers l’État ? Ce dernier serait-il trop interventionniste dans l’allocation des ressources financières ? En témoignent les investissements inégalés de l’État dans la filiale batterie. On voit par les difficultés de Northvolt que cet interventionnisme intense est risqué, comme on l’a aussi vécu avec les investissements dans la CSeries de Bombardier, devenue le A220 d’Airbus, et dans Alstom, lesquels pourraient mener à des pertes financières. L’avenir le dira. Néanmoins, des technologies ont été développées et des milliers de salariés ont bénéficié d’emplois de qualité grâce à ces investissements.
Des observateurs avertis estiment toutefois que l’État prend trop de risques et qu’il agit imprudemment en favorisant certaines industries au lieu de mettre en place des politiques et des programmes universels pour l’ensemble des entreprises. Par exemple, l’avenir dira si l’État a eu raison d’allouer beaucoup de mégawatts de puissance électrique à la filière batterie, alors que d’autres secteurs en ont été privés.
Les tentacules de IQ
Outre l’action structurante de la CDPQ et la pluie de subventions qui arrosent les entreprises, IQ fournit une excellente démonstration de l’action de l’État sur nos entreprises. IQ a fait l’an dernier 6500 interventions (financement, accompagnement) dans des entreprises. De plus, elle a investi 4 G $ dans des entreprises qui ont réalisé des projets totalisant 12,7 G $.
En outre, IQ a attiré au Québec plus de 13 G $ d’investissements directs de l’extérieur et a permis 5 G $ de ventes fermes hors Québec par des entreprises accompagnées. Gestionnaire du programme d’aide aux immigrants investisseurs, IQ a appuyé la réalisation de 202 projets d’une valeur globale de 464 millions de dollars (M $).
En plus d’investir directement dans des entreprises par des actions, des prêts et d’autres instruments financiers, IQ détient 620 M $ de placements dans 40 fonds d’investissement québécois qui ont une capitalisation globale de 10,7 G $, produisant ainsi un effet multiplicateur considérable. Ces fonds fournissent surtout du capital d’amorçage, de démarrage et de développement à des PME, mais ils les accompagnent aussi en stratégie, gestion et développement commercial. Deux groupes se démarquent : Novacap a créé cinq fonds ayant une capitalisation de 4,4 G $, et Inovia en a lancé six, qui ont ayant une capitalisation de 1,6 G $.
Risque élevé = pertes
Alors que la CDPQ vise un rendement annuel moyen de l’ordre de 7 % et qu’IQ cherche essentiellement à couvrir ses frais, le FDE finance des projets à risque élevé, dont la rentabilité à court terme est incertaine et qui peuvent devenir des canards boiteux.
Détenant au 31 mars dernier un actif de 8 G $ et un passif du même ordre, le FDE a reçu un apport de capital de 424 M $ du gouvernement pour boucler ses livres en plus de prendre une provision pour pertes de 234 M $. Le FDE aura coûté l’an dernier au gouvernement 658 M $ si les pertes se matérialisent, comparativement à 475 M $ en 2022‑2023. Le FDE affichait à la même date une provision cumulée pour pertes de 1,25 G $, ce qui témoigne du niveau de risque très élevé de son portefeuille de prêts et d’actions. Et puisque le FDE est financé à 100 % par l’État, sa dette de 7,4 G $ figure évidemment dans la dette de celui-ci.
Le rapport annuel du FDE révèle une autre donnée accablante, soit des engagements de financement et d’investissement hors bilan de 5,1 G $, ce qui porte à plus de 12 G $ le passif du gouvernement dans ses financements à risque élevé dans des entreprises. Ne s’agit-il pas là d’un effet pervers de l’interventionnisme excessif de l’État ?
Alors que le gouvernement Legault investit massivement dans l’aide aux entreprises, il va de soi que l’endettement d’IQ et du FDE augmente fortement, tout comme leurs provisions pour pertes. Malgré l’image de conservatisme fiscal qu’il cultive, ce gouvernement est aussi interventionniste que ceux qui l’ont précédé.
Toutefois, il faudra attendre quelques années avant de constater si les investissements massifs faits dans la filière batterie seront un succès ou un échec. Cette éventualité pourrait bien faire l’histoire, car aucun gouvernement n’a mis autant d’œufs dans un même panier.
J’aime
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, envisage d’ajouter une vingtaine de services spécialisés à ceux qui sont déjà offerts dans des cliniques privées en vertu du Règlement sur les traitements médicaux spécialisés. On parle de chirurgies orthopédiques, oto-rhino-laryngologiques, gynécologiques, urologiques et du système digestif. Certaines cliniques privées offrent déjà des opérations de la cataracte, des genoux et des hanches. Ces soins, qui sont payés par l’État, se font plus rapidement que dans les établissements publics de santé et diminuent les listes d’attente. Depuis la pandémie, plus de 260 000 Québécois y ont eu recours.
Je n’aime pas
Malgré les promesses de certains ministres, le gouvernement Legault ne montre aucune intention de légiférer pour rémunérer les stages des personnes qui étudient en soins infirmiers, en enseignement, en sexologie et dans d’autres professions du domaine de l’éducation et de la santé, des domaines à prépondérance féminine. Pire, celles-ci doivent payer des droits de scolarité pour travailler comme stagiaire. En santé, les étudiantes à la maîtrise infirmière praticienne spécialisée ne sont pas rémunérées, alors que les résidents en médecine, qui font à peu près le même travail, le sont. En éducation, une stagiaire en fin d’études qui a la pleine charge d’une classe n’est pas rémunérée.