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Philippe Labrecque

Politique et philosophie en entreprise

Philippe Labrecque

Expert(e) invité(e)

Invasion de l’Ukraine: l’hypocrisie de l’activisme d’entreprise

Philippe Labrecque|Publié le 16 mars 2022

Invasion de l’Ukraine: l’hypocrisie de l’activisme d’entreprise

Plus de 300 entreprises ont restreint, suspendu ou mis fin à leurs activités commerciales en Russie, dont Apple. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Une nouvelle tendance s’est développée depuis une vingtaine d’années dans le monde des affaires, celle de l’activisme d’entreprise. Cet acte consiste à prendre position publiquement en faveur de certaines causes sociétales bien connues, de la discrimination à la parité en passant par la cause écologique.

Face à une pression croissante des consommateurs dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, on a pu assister à une nouvelle forme d’activisme d’entreprise alors qu’au-delà du respect des sanctions économiques imposées par les différents pays occidentaux, plus de 300 entreprises ont restreint, suspendu ou mis fin à leurs activités commerciales en Russie.

On peut comprendre l’indignation du public et la réaction subséquente du monde des affaires est louable, mais on peut tout de même douter des causes de cette réaction presque uniforme envers la Russie quand ces mêmes entreprises occidentales font affaire avec certains régimes qui sont tout aussi répréhensibles que le régime de Vladimir Poutine, sinon davantage.

 

Des pertes élevées

Dans le but d’exercer une pression économique contre le régime russe pour contribuer à préserver l’indépendance ukrainienne et prévenir une détérioration de la situation humanitaire, ces actions de la part de ces entreprises se justifient largement d’un point de vue moral alors que le sort d’un pays et de sa population l’emporte sur l’abandon de revenus futurs et des pertes encourues pour ces mêmes entreprises.

En effet, mettre fin aux opérations commerciales en Russie comporte un coût significatif pour ces entreprises. Les grandes pétrolières occidentales auraient perdu à elles seules approximativement 30 milliards dollars américain après avoir rompu leurs ententes avec leurs contreparties russes. Au Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec devra essuyer des pertes de centaines de millions de dollars canadiens après la vente de leurs actifs dans ce pays.

On peut donc imaginer que ces décisions de cesser les activités commerciales en Russie, même si ce n’est que temporairement dans certains cas, vont au-delà de la simple gestion des communications et de l’image de marque de l’entreprise et qu’elles ne furent pas prise à la légère par les conseils d’administration de ces grandes entreprises.

 

Double standard

Si cette forme d’activisme d’entreprise envers la Russie se justifie moralement sur une base humanitaire, comment les entreprises comme McDonald et Apple peuvent-elles justifier de maintenir leurs opérations dans un pays comme la Chine, par exemple, malgré la nature totalitaire de ce régime, les horreurs répertoriées des camps d’Ouïghours et la menace permanente et croissante que ce pays fait peser sur ses voisins, particulièrement Taiwan?

L’hypothèse des profits largement supérieurs qu’offre le marché chinois comparativement au marché russe pourrait expliquer le seuil de tolérance plus élevé des entreprises envers le régime du Parti communiste chinois.

Si nous imposons un embargo contre l’importation de pétrole russe à l’instar d’une résolution adoptée par le gouvernement américain, ferons-nous de même contre le pétrole du régime théocratique médiéval qu’est l’Arabie Saoudite dans le contexte de son intervention militaire au Yémen et des multiples accusations de crimes de guerre portées contre ce régime?

On peut en douter alors que le prix du baril de pétrole dépasserait presque instantanément le seuil de 200 $ US et que le ralentissement économique, peut-être même la récession, que cela engendrerait serait politiquement intenable pour les différentes puissances économiques du monde, sans même parler des pertes financières astronomiques pour les partenaires d’affaires occidentaux de ce régime.

 

Un calcul comptable

Ces exemples pris parmi tant d’autres démontrent qu’une certaine sélection s’effectue à l’aide d’un calcul comptable des coûts et des bénéfices potentiels quand vient le temps pour les grandes entreprises de prendre position envers les actions d’un régime et d’un pays, sans surprise diront certains.

On répondra avec raison que la légitimité morale des sanctions et des décisions prises par les grandes corporations au détriment de la Russie se défend dans le cadre de la guerre en Ukraine, qu’une action peut être juste en elle-même sans être comparée à d’autres cas similaires.

Toutefois, ceci n’explique pas l’asymétrie de cet activisme d’entreprise d’un régime à l’autre qui révèle une certaine hypocrisie au cœur même de ce phénomène.

Les contorsions éthiques substantielles dont les entreprises font preuve pour plaire à certains régimes répréhensibles tout en en condamnant d’autres nous imposent donc un certain scepticisme devant les motivations profondes de l’activisme d’entreprise qui, finalement, nous ramène toujours à des impératifs de rentabilité, l’essence même de cette institution qu’est l’entreprise.

Il serait naïf de croire le contraire.

 

Une nouvelle tendance s’est développée depuis une vingtaine d’années dans le monde des affaires, celle de l’activisme d’entreprise, cet acte de celle-ci qui consiste à prendre position publiquement en faveur de certaines causes sociétales bien connues, de la discrimination à la parité et la cause écologique.
Face à une pression croissante des consommateurs dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, on a pu assister à une nouvelle forme d’activisme d’entreprise alors qu’au-delà du respect des sanctions économiques imposées par les différents pays occidentaux, plus de 300 entreprises ont restreint, suspendu ou mis fin à leurs activités commerciales en Russie.
On peut comprendre l’indignation du public et la réaction subséquente du monde des affaires est louable, mais on peut tout de même contester les causes de cette réaction presque uniforme envers la Russie quand ces mêmes entreprises occidentales font affaire avec certains régimes qui sont tout aussi répréhensibles que le régime de Vladimir Poutine, sinon davantage.
Des pertes élevées
Dans le but d’exercer une pression économique contre le régime russe pour contribuer à préserver l’indépendance ukrainienne et prévenir une détérioration de la situation humanitaire, ces actions de la part de ces entreprises se justifient largement d’un point de vue moral alors que le sort d’un pays et de sa population l’emporte sur l’abandon de revenus futurs et les pertes encourues pour ces mêmes entreprises.
En effet, mettre fin aux opérations commerciales en Russie comporte un coût significatif pour ces entreprises. Les grandes pétrolières occidentales auraient perdu à elles seules approximativement 30 milliards dollars américain (G$ US) après avoir rompu leurs ententes avec leurs contreparties russes. Au Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec devra essuyer des pertes de centaines de millions de dollars canadiens après la vente de leurs actifs dans ce pays.
On peut donc imaginer que ces décisions de cesser les activités commerciales en Russie, même si ce n’est que temporairement dans certains cas, vont au-delà de la simple gestion des communications et de l’image de marque de l’entreprise et qu’elles ne furent pas prise à la légère par les conseils d’administration de ces grandes entreprises.
Pourquoi la Russie uniquement?
Si cette forme d’activisme d’entreprise envers la Russie se justifie moralement sur une base humanitaire, comment les entreprises comme McDonald et Apple peuvent-elles justifier de maintenir leurs opérations dans un pays comme la Chine, par exemple, malgré la nature totalitaire de ce régime, les horreurs répertoriées des camps d’Ouïghours et la menace permanente et croissante que ce pays fait peser sur ses voisins, particulièrement Taiwan?
L’hypothèse que les profits largement supérieurs qu’offre le marché chinois comparativement au marché russe pourrait expliquer le seuil de tolérance plus élevé des entreprises envers le régime du Parti communiste chinois.
Si nous imposons un embargo contre l’importation de pétrole russe à l’instar d’une résolution adoptée par le gouvernement américain, ferons-nous de même contre le pétrole du régime théocratique médiéval qu’est l’Arabie Saoudite dans le contexte de son intervention militaire au Yémen et des multiples accusations de crimes de guerre portées contre ce régime?
On peut en douter alors que le prix du baril de pétrole dépasserait presque instantanément le seuil de 200 $ US et que le ralentissement économique, peut-être même la récession, que cela engendrerait serait politiquement intenable pour les différentes puissances économiques du monde, sans même parler des pertes financières astronomiques pour les partenaires d’affaires occidentaux de ce régime.
L’activisme d’entreprise, un calcul comptable?
Ces exemples pris parmi tant d’autres démontrent qu’une certaine sélection s’effectue à l’aide d’un calcul comptable des coûts et des bénéfices potentiels quand vient le temps pour les grandes entreprises de prendre position envers les actions d’un régime et d’un pays, sans surprise diront certains.
On répondra avec raison que la légitimité morale des sanctions et des décisions prises par les grandes corporations au détriment de la Russie se défend dans le cadre de la guerre en Ukraine, qu’une action peut être juste en elle-même sans être comparée à d’autres cas similaires.
Toutefois, ceci n’explique pas l’asymétrie de cet activisme d’entreprise d’un régime à l’autre qui révèle une certaine hypocrisie au cœur même de ce phénomène.
Les contorsions éthiques substantielles dont les entreprises font preuve pour plaire à certains régimes répréhensibles tout en en condamnant d’autres nous imposent donc un certain scepticisme devant les motivations profondes de l’activisme d’entreprise qui, finalement, nous ramène toujours à des impératifs de rentabilité, l’essence même de cette institution qu’est l’entreprise.
Il serait naïf de croire le contraire.