(Photo: Brett Jordan pour Unsplash.com)
BLOGUE INVITÉ. Je travaille actuellement sur un projet de livre résumant les dix années de Connect&GO et cette histoire un peu folle qui nous a fait voyager autour du monde dans les plus grands événements tels que le Super Bowl et les Jeux olympiques pour finir par être aujourd’hui l’un des principaux joueurs du monde des attractions.
Le titre proposé par mon co-fondateur « Les Tech-Cowboys » m’a longuement fait réfléchir. L’un des fils conducteurs du livre est à quel point cette décennie fut à la fois stimulante, mais aussi chaotique. Mais surtout à quel point ce chaos était continuellement créé par nous-mêmes.
Je me suis donc demandé si c’était normal qu’un entrepreneur soit dépendant au chaos. J’ai réfléchi à ce concept pendant un certain temps. Cela a été une sorte d’auto-psychanalyse pour comprendre pourquoi je pense et me comporte comme je le fais. Pour être totalement transparent avec vous, j’ai parfois l’impression que je suis devenu accro au chaos et que je dois maintenant me sevrer. Et le plus gros problème, c’est que peut-être pas seulement le chaos, mais aussi à une certaine création de chaos. Quand les choses deviennent banales et prévisibles, j’ai soudainement un sentiment de peur. Ce n’est pas de l’ennui, c’est simplement de la peur. Je me mets tout à coup à penser que quelque chose de mal risque d’arriver. « Les choses vont trop bien, c’est bizarre » me dis-je et dès lors, je me dis que c’est probablement le calme avant la tempête et que quelque chose va soudainement venir bousculer cette quiétude temporaire.
À certains moments, je me demande si cette dépendance et cette peur du calme sont le résultat d’un certain « choc post-traumatique » entrepreneurial relié à mes expériences personnelles et professionnelles auxquels j’ai été confronté dans le passé. Chose sûre, la pandémie m’a un peu donné raison. Nous venions de terminer une ronde de financement, d’acquérir une société, de signer avec les organisateurs de Jeux olympiques de Bejing et BAM!: le calme s’est transformé en tsunami. En revanche, de manière un peu surprenante, après une semaine à ne pas me sentir bien, je suis devenu drôlement confortable dans ce chaos par la suite. Dans ce cas-ci, c’est un élément externe qui a créé le chaos. Cependant, je pense que beaucoup d’entrepreneurs, comme moi, vont souvent eux-mêmes créer le chaos en se disant que si c’est eux qui provoquent l’inattendu, ils pourraient aussi le contrôler.
Si vous n’êtes pas un entrepreneur, vous êtes probablement entrain de vous dire : c’est totalement idiot comme stratégie de créer le chaos pour le contrôler. Vous avez peut-être raison. Mais au fond, est-ce que cette dépendance au chaos des entrepreneurs est aussi ce qui créer l’innovation et le refus du statu quo qui caractérise plusieurs grands succès entrepreneuriaux?
Je peux citer de nombreux exemples de ces créations chaotiques que j’ai faites dans ma vie. Lancer ma propre agence de communication seulement trois semaines après avoir débuté mon baccalauréat en communication, sans expérience ni un sou en poche. Investir des centaines de milliers de dollars dans une entreprise de vêtement de sport écoresponsable, un marché où je ne connais rien du tout, mettant ainsi ma sécurité financière à risque simplement par un désir de découvrir quelque chose de nouveau.
Si moi ou d’autres pouvons facilement prédire ce qui va se passer, alors cela devient trop effrayant pour moi. J’ai souvent l’impression que quelque chose ira mal si je laisse juste le futur suivre son cours. Suis-je le seul dans cette folie?
Le chaos est parfois payant!
L’histoire de Connect&GO est intimement reliée à cette dépendance au chaos que j’ai longtemps partagé avec mon partenaire et co-fondateur. Lorsque la pandémie nous a frappés et que nous n’avions presque plus d’argent pour assurer la survie de l’entreprise et que nous avons pris la décision d’augmenter les dépenses en vente et marketing et d’embaucher des ingénieurs, diminuant drastiquement le temps avant de manquer d’argent, c’est un peu de créer le chaos. Encore plus lorsque vous prenez la décision de changer 75 % de l’équipe, d’attaquer un nouveau marché avec un nouveau produit.
Mais vous savez quoi? J’aime ça! En fait, je pense que ce chaos m’aide à mieux comprendre et prédire l’avenir. En fait, cela me donne un certain sentiment de contrôle. Personne d’autre n’a créé ce chaos, nous l’avons choisi et maintenant, nos concurrents doivent y réagir, si non – elles se mettent à risque. Résultat : ce chaos nous a permis d’aller cinq fois plus rapidement et d’être aujourd’hui l’un des joueurs principaux d’une industrie qui ne nous connaissait même pas en 2020.
Suis-je le seul qui ressent de l’excitation à rendre gérables des situations difficiles et des scénarios impossibles? En fait, juste la lecture du mot impossible me rend inconfortable. C’est probablement ce qui me rend toujours attiré par l’univers des start-ups qui visent à perturber les vieux systèmes et résoudre des problèmes à long terme.
Ne devenez pas un pompier pyromane!
Le plus grand problème avec cette dépendance au chaos est qu’elle est nécessaire uniquement à certains stades de l’entreprise. Bien qu’elle puisse permettre de grande chose, elle peut aussi être destructrice, principalement pour vos équipes.
Dans son blogue, «Both Sides of the Table», le capital-risqueur Mark Suster décrit cette dépendance au chaos comme une dépendance à l’urgence. Selon lui, «la dépendance à l’urgence prospère grâce à la pression». Ainsi, la raison principale pour laquelle nous performons bien dans le chaos est que cette situation stimule hautement notre créativité. En soi, il y a quelque chose dans cette montée d’adrénaline qui réveille en nous cette flame d’entrepreneur où rien ne nous semble impossible. Nous nous en sortons bien avec la dépendance à l’urgence uniquement parce que NOUS sommes performants sous pression. La réalité est que ce n’est pas le cas de tout le monde! En fait, c’est le cas de peu de personnes et ce n’est clairement pas un climat sain.
En tant qu’entrepreneur dépendant au chaos, et donc à l’urgence, nous devons tout d’abord réaliser qu’il y a beaucoup de choses qui sont urgentes, mais qui ne sont pas très importantes. Nous devons aussi nous méfier de notre égo. De nombreux entrepreneurs aiment jouer aux pompiers pyromanes. Ils mettent le feu et savent pertinemment qu’ils seront les mieux placés pour l’éteindre et ainsi contribuer au sentiment de « l’entrepreneur super-héros ». Mettre le feu ne devrait jamais contribuer à des félicitations!
Mon mentor, Sloan Gaon, entrepreneur en série, fondateur de Pulse Point, a résumé la situation de manière très intéressante lors d’une session avec moi et mon chef de l’exploitation. «Dominic, tu as le droit de tirer dans toutes les directions si tu le souhaites, mais tu dois aussi comprendre l’impact que cela aura sur tes équipes si à tout moment il y a un changement de direction. Tu dois donc mettre en place une structure qui te permet de lancer des balles de manière peu précise pour finir par être très précis, et ce, pendant que ton organisation [donc le chef de l’exploitation] supervise l’organisation avec un grand « focus ».»
Lorsque dans mon chaos, je réussis à déceler une occasion que personne n’avait vue et qui correspond à différents critères précis, je peux à ce moment l’amener à la table. Je laisse de côté mes 200 000 idées quotidiennes comme celles d’attaquer quatre nouveaux pays à la fois ou de nous lancer dans un nouveau marché et donc de déconcentrer l’équipe de leadership en lui demandant d’analyser toutes les opportunités.
Une transition difficile pour l’entrepreneur.
Je prenais des nouvelles d’un ami entrepreneur qui a beaucoup de succès en ce moment. Son entreprise est passée à deux centimètres de la mort durant la pandémie (étant dans le milieu de l’événementiel et du voyage). Aujourd’hui, elle réalise plusieurs millions de dollars en bénéfice.
Cet ami devrait probablement sauter de joie, mais sa réponse fut toute autre. «Mon rôle change d’un président en période de guerre à président en période de paix et je ne m’y habitue pas encore. Aujourd’hui, à la place de prendre des décisions de vie ou de mort chaque mois, voire chaque jour, c’est plus du long terme : des trimestres et des années. Moins réactif, plus proactif, je n’ai plus l’impression que je suis vital».
Sans le savoir, il venait de m’inspirer pour mon billet de blogue, tout en me réconfortant énormément dans mon sentiment que je ressentais à ce moment. Mon entreprise a beaucoup grandi, l’équipe est plus solide et talentueuse que jamais, nous accomplissons des choses extraordinaires, mais je me sèvre doucement de mon dépendance au chaos.
La première étape pour moi fut de comprendre quand créer ce chaos et d’arrêter d’en faire notre quotidien. La deuxième étape fut de m’entourer de gens très différents de moi. Quoiqu’il aime aussi le chaos et soit exceptionnel pour le gérer, mon chef de l’exploitation préfère de loin la planification et voir venir le chaos plutôt que de le créer. C’est la force de notre équipe. Il garde les yeux sur la balle, pendant que moi, je vais voir jusqu’où nous pourrions l’envoyer à l’extérieur même du terrain.
Alors, à quand le club des Entrepreneurs Chaotique Anonyme?