Le marché haussier de 2009-2019 est long, mais il se classe troisième en amplitude depuis 1929. (Sources: Ned Davis, Bloomberg)
Alors que le marché haussier marque son dixième anniversaire, les investisseurs sont plus préoccupés parce ce qui y pourrait y mettre fin que l’inverse.
La surprise causée par la création de seulement 20000 emplois en février aux États-Unis a amplifié le climat déjà tendu, car elle s’ajoute à d’autres données décevantes, dont la chute de 20% des exportations chinoises en février, le besoin pour la Banque centrale européenne de reporter le rétablissement de ses taux et de prêter aux banques et les échos plus tièdes à l’égard des négociations commerciales sino-américaines.
Par automatisme, les investisseurs déjà nerveux ont porté plus d’attention aux statistiques qui confirment leur penchant négatif du moment que les autres.
Les statistiques américaines de l’emploi peuvent pourtant être très volatiles d’un mois à l’autre.
En début d’année en particulier, le froid hivernal déforme souvent le portrait, et cette fois en plus, la fermeture partielle du gouvernement fédéral rend les données encore plus douteuses que d’habitude.
Un simple recul révèle d’ailleurs que la moyenne des trois derniers mois, soit 186 000 emplois créés, reste satisfaisante, indique l’économiste Douglas Porter, de BMO Marchés des capitaux.
Charlie Bilello, directeur de la recherche chez le conseiller Pension Partners y va même d’une boutade: « la création d’emplois a cru à un rythme annuel de 1,7% en février, soit la même cadence observée depuis trois ans. Ça doit être un signe qu’une dépression est proche», a-t-il écrit.
Même l’accélération en février de 3,1 à 3,4% du salaire horaire moyen a déplu, car elle fait craindre une contraction des marges des entreprises qui versent ces salaires plus élevés.
Pourtant, cette hausse est supérieure à l’inflation de 2,1% ce qui accroit le pouvoir d’achat des travailleurs, un objectif longuement souhaité par la Fed.
Le rebond en février de l’indicateur ISM de l’activité du secteur des services de 56,7 à 59,7, soit son meilleur niveau en sommet trois mois, est aussi passé inaperçu tout comme l’amélioration des mises en chantier et des permis de construction, mentionne M. Porter.
Une pause après une montée en flèche
Une pause en Bourse ne surprend personne après le meilleur début d’année depuis 1987 pour le S&P 500.
Même après le léger recul de 2% cette semaine, cet indice phare affiche encore un solide gain de 9,4%, en dix courtes semaines.
«Les données économiques vont dans tous les sens ces temps-ci. Pour l’instant, elles indiquent que l’économie se modère, ce que nous savions déjà», a expliqué Jim Paulsen, stratège en chef de Leuthold Weeden Capital Management, à l’agence Bloomberg.
Le modèle avancé de la Fed d’Atlanta prévoit une croissance économique d’à peine 0,5% au premier trimestre aux États-Unis. Celui de New York prédit une amélioration à 1,5%, au deuxième trimestre.
Les taux américains ont aussi peu réagi aux nouvelles économiques: les taux de deux ans (2,46%) et de dix ans (2,62%) sont au même point qu’il y a un mois, car les marchés obligataires avaient prévu le coup comme ils le font si souvent.
Quatre stratèges se prononcent
Michael Hartnett, stratège en chef de Bank of America, préfère l’Europe à court terme en tant que de placement à contre-courant parce le recul de l’euro et les mesures de relance chinoises aideront les titres cycliques du Vieux continent, ce printemps.
Par contre, il prévient que l’Europe est probablement coincée à long terme dans le même cycle désinflationniste que le Japon l’a été. M. Hartnett rappelle que le Japon a connu treize rebonds de 20% et plus pendant son long marché baissier de 1990 à 2003.
Pour sa part, Martin Roberge, de Canaccord Genuity, craint que la pause dans la hausse des taux annoncée par une demi-douzaine de banques centrales ces derniers jours ne soit pas suffisante pour que le S&P 500 puisse surpasser son sommet du 20 septembre, cette année.
«Contrairement aux épisodes de rebond de 2011-12 et de 2015-16, les politiques monétaires, le niveau des taux d’intérêt, le dollar américain et le cours du pétrole ne sont pas aussi favorables», explique-t-il.
Comme en 2011-12 et 2015-16, l’économie mondiale a besoin de taux plus bas, croit Martin Roberge, de Canaccord Genuity.
M. Roberge appréhende une détérioration de la consommation et des dépenses non résidentielles au cours des prochains trimestres.
L’indice S&P 500 lui semble donc enclavé entre 2300 et 2900.
Pour sa part, Ed Clissold, stratège américain en chef de Ned Davis, a encore espoir que le S&P 500 puisse franchir de nouvelles marques.
Si l’appréciation de 400% (incluant les dividendes) du S&P 500 depuis mars 2009 est énorme, son rendement annuel composé de 18% est plus modeste que onze autres mouvements haussiers depuis 1928. Avec l’épisode de 2002 à 2007, le marché haussier est le seul à avoir procuré un rendement inférieur à 20%.
Cela reflète la croissance économique la plus lente depuis la deuxième guerre mondiale, de 1,8% par année, dit-il .
Ce qui lui fait dire que si l’économie coopère, la hausse pourrait se poursuivre et faire oublier le traumatisme de la dernière crise qui hante encore les investisseurs et les fait douter que l’appréciation actuelle puisse se prolonger.
«Les sceptiques sont nombreux, ce qui veut dire qu’il y a beaucoup d’argent sur la touche», a-t-il déclaré à l’agence Bloomberg.
Même espoir de la part de Bill Stone, chef des investissements chez Avalon Advisors qui ne perçoit pas dans le mouvement haussier actuel les excès que l’on voit habituellement à la fin d’un marché haussier.