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Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

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Analyse de la rédaction

La Bourse fait grogner les PDG audacieux

Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑juin 2019

ANALYSE. C'est au tour du PDG de Westjet Airlines, Ed Sims, de déplorer la tyrannie des marchés boursiers. ...

ANALYSE. C’est au tour du PDG de Westjet Airlines, Ed Sims, de déplorer la tyrannie des marchés boursiers. L’obligation d’avoir à rendre des comptes tous les trimestres et de justifier sans cesse les décisions d’affaires semble rebuter de plus en plus de dirigeants.

«Quand on nous demande tous les trois mois de démontrer la rentabilité de chaque élément d’une stratégie à long terme, ça peut nous pousser à développer une vision à court terme», s’est plaint M. Sims en entrevue à la chaîne BNN Bloomberg.

Il faut dire que le titre de WestJet (WJA, 30,18 $) a été malmené ces dernières années. Entre 2015 et la fin de 2018, l’action a dégringolé de 48 % en raison des risques liés à l’ajout de destinations internationales et au lancement du transporteur à bas prix Swoop.

En passant dans le giron d’Onex Corp. (ONEX, 78,01 $), WestJet espère profiter du capital patient du fonds d’investissement torontois dont certains des placements, tel que le fournisseur de composantes électroniques Celestica (CLS, 9,39 $), datent de 1996.

La complainte d’un entrepreneur audacieux

Ils sont nombreux les dirigeants à décrier les risques du capital à court terme pour les entreprises. Le PDG du regroupement de fournisseurs d’aliments spécialisés Premium Brands (PBH, 84,87 $) fait partie du lot. Lui aussi trouve à se plaindre des investisseurs touristes qui entrent en conflit avec sa vision à long terme.

Dans sa lettre annuelle intitulée «The Long Game», le coloré George Paleologou se désole de voir le cours de son titre dévier de sa valeur intrinsèque malgré des ventes qui ont presque triplé en quatre ans et qui sont appelées à doubler d’ici cinq ans.

Au cours de la dernière année, la société de la Colombie-Britannique a été pénalisée en Bourse pour avoir retardé le démarrage de nouveaux contrats. Ce coup de frein avait pour but de préparer les effectifs et la chaîne d’approvisionnement à l’augmentation planifiée du volume d’affaires, selon le patron.

«Nous sommes passés de titre chouchou à titre boudé même si nous n’avons jamais été aussi bien positionnés pour créer de la valeur», écrit-il après avoir vu le titre de sa société chuter de 35 %.

S’élever au-dessus de la mêlée

Ces PDG ont-ils raison de jeter le blâme sur la pression indue qu’exerce la Bourse sur leur entreprise ?

Dans le cas de Premium Brands, la chute récente en Bourse a certes dégonflé sa forte évaluation de 27 à 19,5 fois les bénéfices prévus, mais les performances de l’action ne restent pas moins spectaculaires, sa valeur ayant été multipliée par huit depuis 2010.

Toutes les sociétés à capital ouvert ont des comptes à rendre tous les trimestres et des attentes à satisfaire. C’est le prix à payer pour avoir accès aux capitaux, à la notoriété boursière et à la capacité de réaliser des acquisitions avec des actions.

Les reproches de ces PDG semblent cependant peu fondés quand on sait que plus de 90 % des recommandations des analystes sont des achats. Elles sont si positives que les gestionnaires de portefeuille ignorent de façon générale les cours cibles de leurs auteurs.

Aussi, quand la pression du milieu financier se fait forte, il faut aussi reconnaître qu’elle est parfois justifiée. Elle peut ramener à l’ordre certains dirigeants trop fonceurs ou des conseils d’administration trop passifs ou complaisants.

Le choc des opinions fait partie intégrante du mécanisme qui établit les cours acheteur et vendeur, chaque jour. Si certains investisseurs institutionnels impatients vendent, d’autres sont plus qu’heureux de prendre leur place lorsqu’ils jugent que les entreprises reculent injustement.

D’ailleurs, treize jours à peine après le cri du coeur de son président, Premium Brands a conclu un placement privé de 200 millions de dollars auprès de l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC) en échange de 7 % des actions.

L’entreprise, un acquéreur en série, pourra désormais profiter d’un bien meilleur bilan. Les sommes récoltées réduiront le ratio d’endettement de 3,9 à 3 fois le bénéfice d’exploitation, au grand soulagement de certains investisseurs.

Avec des liquidités de 416 M$ en poche, la société pourra plus facilement réaliser les acquisitions prévues dans son plan de cinq ans, se réjouit Sabahat Khan, analyste de RBC Marchés des capitaux.

George Doumet, de Banque Scotia, hausse son cours cible de 88 $ à 96,50 $ parce que le bilan s’améliore et Premium Brands s’allie à un bailleur de fonds patient.

Au lieu de se plaindre de l’injuste évaluation que leur accordent les investisseurs, les dirigeants devraient y voir l’occasion de changer de stratégie pour allouer leurs ressources au rachat d’actions au lieu de tenter de nouvelles acquisitions, par exemple.

En fin de compte, les dirigeants qui répartissent habilement leur capital trouvent plus que d’autres le moyen de faire taire les investisseurs touristes et les activistes.