(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Qualifiée tantôt d’écologique, tantôt d’énergétique, de juste ou de sobre en carbone, la transition de notre société est une idée qui revient de plus en plus dans la sphère publique. Si les tenants de ce discours s’entendent sur l’importance d’agir face à la crise environnementale, les moyens, les finalités et les échelles d’action qu’ils promeuvent varient.
Le discours de la transition représente ainsi un matériel de recherche fort intéressant pour les sociologues et chercheurs Ali Romdhani et René Audet de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal. Ces derniers ont d’ailleurs déconstruit le discours sur la transition pour la région métropolitaine de Montréal et le Québec en analysant quatre documents: le Plan pour une économie verte (Plan vert) du Gouvernement du Québec, le Plan climat de la Ville de Montréal, la feuille de route Projet Québec ZéN du Front commun pour la transition énergétique et le récit collectif de la transition porté par Solon. Entrevue avec Ali Romdhani.
Dans quel contexte avez-vous réalisé cette analyse et à quoi peut-elle servir?
Nous avons été amenés à créer un partenariat avec le Campus de la transition écologique, un pôle d’innovation implanté au parc Jean-Drapeau. C’est une nouvelle organisation qui cherche à se positionner dans le milieu de la transition écologique. Ils ont déjà leurs idées, thématiques et angle d’approche, mais ils voulaient valider leur positionnement d’un point de vue scientifique. C’est dans ce cadre qu’on a produit une grille d’analyse du discours de la transition en cinq axes (trois des axes sont présentés dans les graphiques ci-dessous). On constate que notre travail peut servir de boussole, de cartographie du contexte québécois et montréalais de la transition pour que des organisations comme le Campus puissent se dire «Voici les grandes approches, thématiques et actions en cours. Nous, quelle est notre contribution là-dedans?».
Ces quatre graphiques illustrent le positionnement de chaque document selon trois axes d’analyse du discours de la transition: l’échelle, les processus et la finalité.
Comment se résume le discours dominant?
Le discours dominant, c’est celui de la transition énergétique. La transition est ainsi conçue comme un changement technologique. Elle est «technocentrée», à grande échelle, menée par des institutions et conçue à travers l’anticipation. Le Plan vert s’inscrit dans ce courant. C’est l’idée de maîtrise, de contrôle, et que le progrès technologique est la solution principale aux problèmes environnementaux. Le contre-pied à ce type de discours, c’est par exemple le récit collectif porté par Solon où on s’intéresse davantage à la finalité de la transition qu’au processus. On imagine une société idéale vers laquelle on veut aller grâce à des processus «sociocentrés», c’est-à-dire qu’au lieu de miser sur des solutions comme les voitures électriques et la captation de carbone, par exemple, on va plutôt réduire la consommation, les déplacements, changer les modes de vie, réorganiser l’économie, etc. En gros, on veut agir sur l’organisation sociale, plutôt que de seulement substituer des technologies à d’autres.
Le discours technocentré n’est-il donc pas contreproductif pour la transition s’il ne remet pas en cause le système économique?
Ça dépend de l’objectif de la transition. Si, pour le gouvernement du Québec, l’objectif final est la carboneutralité, soit de maintenir le capitalisme, mais en changeant ses conditions de reproduction — au lieu de le baser sur les énergies fossiles, on le base sur des énergies renouvelables — oui, c’est une stratégie efficace pour atteindre cet objectif. Mais si on prend la question du respect des limites planétaires, ce n’est pas une stratégie efficace, car on n’attaque pas la racine des problèmes. On reste dans une fuite en avant, parce que plus on crée de solutions technologiques, plus il y a des risques pour l’environnement qu’il faudra gérer éventuellement.
S’avèrerait-il plus prometteur de tenir un discours moins polarisé?
L’idée derrière notre cadre d’analyse multiaxes, c’est justement de montrer les polarités en tension. Des documents comme le Plan climat et Québec ZéN cherchent à concilier les contradictions. Dans le cas de Québec ZéN, on veut atteindre la carboneutralité et la justice sociale en même temps, en planifiant la transition à l’échelle du Québec et en l’ancrant dans les milieux de vie. Un tel document a l’ambition d’être plus nuancé et de viser différents objectifs, mais ça se fait au prix de certaines incohérences. Par exemple, d’un côté, on dit que les gouvernements sont incapables d’agir, mais la plupart des actions qu’on propose les visent. D’un autre côté, on souligne que les citoyens ont un rôle majeur à jouer, mais seulement 11% des propositions les concernent. Des documents comme le Plan vert ou le récit collectif, qui sont très polarisés, ont l’avantage d’avoir une direction claire. L’idée derrière les discours est de rallier des coalitions d’acteurs pour agir: un discours très polarisé permet plus facilement de les faire s’entendre sur ce qu’est la transition et sur les moyens de la faire. À l’inverse, c’est difficile de faire tenir une coalition d’acteurs autour d’intérêts plus diversifiés et divergents.
Quel rôle les documents analysés donnent-ils aux entreprises privées?
On ne leur donne pas un gros rôle, du moins pas un rôle moteur dans la transition. Le document qui en parle le plus, c’est le Plan vert, mais c’est comme si elles n’y avaient qu’un rôle de «suiveux»: il faut leur montrer quoi faire, mettre en place des niches d’innovation, des programmes de subvention, des incitatifs économiques pour les faire participer à la transition. Le Plan vert aborde la création de nouveaux secteurs d’activités, comme la filière de la batterie, et c’est dans ces derniers que les entreprises auront un rôle à jouer.