Les usines sont en train de rouvrir... (Photo: Carl Nenzen Loven/Unsplash)
CHRONIQUE. La province chinoise du Hubei, qui a vu naître la pandémie du nouveau coronavirus, est en train de doucement reprendre vie après deux mois de confinement extrême. Les gens sont maintenant autorisés à quitter leur domicile et à retourner au travail, les usines rouvrant les unes après les autres. Toutefois, les universités, les écoles et les crèches doivent rester closes jusqu’à nouvel ordre. Quant aux déplacements à destination et en provenance de Wuhan, la capitale provinciale, ils restent strictement limités jusqu’au 8 avril, chacun devant dès lors se soumettre à un test de dépistage du virus.
C’est que depuis le 18 mars, un seul nouveau cas de contamination a été officiellement signalé au Hubei. Et que les autorités gouvernementales ont décidé de suivre de près l’évolution de la situation sanitaire à mesure que la population reprendra son activité socioéconomique normale.
À première vue, on pourrait se dire que c’est là une bonne nouvelle. Une excellente nouvelle même. Car cela donne le signal à tout le monde qu’au bout de deux mois de confinement strict et rigoureux, on peut espérer reprendre graduellement une vie normale.
Le hic? C’est qu’on ne peut pas se fier à la Chine pour divulguer des données fiables quant à la gestion de la crise du coronavirus. Qu’on ne peut aucunement s’y fier. Loin de là. Explication.
Caixin est un site chinois d’informations économiques. Il a récemment publié la photo d’un camion chargé d’urnes funéraires, devant le crématorium de Hankou, un quartier de Wuhan. Le camionneur indiquait qu’il y en avait 2.500, et que la veille, il en avait transporté tout autant. Un autre crématorium de la capitale provinciale reconnaissait, lui, qu’il prévoyait distribuer une moyenne de 500 urnes par jour entre le 23 mars et le 4 avril.
Or, il faut savoir, d’une part, que les familles sont autorisées à ne récupérer que les cendres des proches victimes de la COVID-19, tous les corps ayant tous été incinérés pour éviter tout risque de propagation du virus. Et d’autre part, que ces centaines et ces centaines d’urnes qui sortent quotidiennement des crématoriums de Wuhan ne s’expliquent pas, si l’on considère que cela fait maintenant près de deux semaines qu’il n’y a plus de nouveau malade dans la province.
L’agence de presse américaine Bloomberg a voulu en avoir le coeur net. Elle a appelé les huit crématoriums de Wuhan, et chacun d’eux a refusé d’indiquer le nombre d’urnes qui sortaient quotidiennement de chez eux. Cela étant, elle a pu mettre la main sur des photos prises par des Chinois à leurs abords et diffusées sur les médias sociaux : les files d’attente sont gigantesques.
Résultat? «Même en tenant compte des décès qui n’ont rien à voir avec la COVID-19, les données indirectes sèment le doute quant au nombre officiel de morts enregistrés à Wuhan», notent les journalistes de Bloomberg.
(En passant, les autorités chinoises ont dernièrement expulsé du pays les journalistes américains envoyés en Chine pour couvrir la pandémie – New York Times, Washington Post,… – parce qu’ils publiaient des articles et des données qui ne correspondaient pas aux messages véhiculés par le gouvernement de Xi Jiping.)
Un dernier fait, on ne peut plus troublant… La station de radio française Europe 1 s’est intéressée à une donnée révélatrice, que les autorités chinoises n’ont visiblement pas songé à filtrer: le nombre de résiliation de lignes téléphoniques. Il se trouve qu’à Wuhan elles se comptent par dizaines de milliers, ces derniers temps.
«Quand on a vu le nombre de morts en Italie et en Espagne, on s’est dit qu’il y avait beaucoup de choses cachées en Chine», a commenté au micro d’Europe 1 Karine Lacombe, directrice, service des maladies infectieuses, de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.
Le risque d’une seconde vague
La Chine cache la vérité. C’est une chose, et d’ailleurs une chose qui n’est pas si surprenante que ça, sachant que son régime politique n’est en rien démocratique. Mais malheureusement, ce n’est pas là le plus important.
Le redémarrage de l’économie du Hubei – au prétexte que tout va mieux d’un point de vue sanitaire – est, en vérité, potentiellement catastrophique. Je pèse mes mots.
Gabriel Leung est chercheur en maladies infectieuses à l’Université de Hong Kong. Contacté par le magazine scientifique américain Nature, il a confié que le risque de voir se produire une seconde vague du nouveau coronavirus était «élevé», vu la facilité avec laquelle le virus passe entre les gens et la possibilité que certaines infections persistent encore sans avoir été détectées.
Le virus aurait du mal à se réinstaller dans la communauté si une partie importante de la population, entre 50% et 70%, avait été infectée et était désormais immunisée, a expliqué M. Leung. Mais il note que même à Wuhan – qui regroupe plus de la moitié des cas officiellement enregistrés en Chine – le nombre de personnes infectées et immunisées contre la maladie était «probablement inférieur à 10%» – ce qui signifie que de nombreuses personnes sont encore vulnérables à l’infection. «Ces chiffres ne permettent pas de soupirer de soulagement», a-t-il souligné.
À cela s’ajoute le fait que la majeure partie du territoire chinois n’a pas été touchée par la pandémie. «La Chine n’a pas eu un grand nombre d’infections au cours de la première vague, la population entière demeure donc très vulnérable», a dit un collègue de M. Leung, Ben Cowling, épidémiologiste, de l’Université de Hong Kong. Si une seconde vague devait survenir en Chine, M. Cowling s’attend à la voir émerger «d’ici la fin d’avril».
D’ailleurs, une équipe britannique, dirigée par les chercheurs en maladies infectieuses Neil Ferguson et Steven Riley de l’Imperial College de Londres, a mis au point un modèle de calcul permettant d’anticiper les conséquences sanitaires d’un assouplissement des restrictions de déplacement entre le Hubei et ses provinces voisines – Beijing, Guangdong, Henan, Hunan et Zhejiang. Celui-ci montre que les cas de contamination dans les autres provinces demeureront minimes si la pandémie est bel et bien enrayée au Hubei, mais qu’il suffit qu’il y ait «un nombre petit, mais tout de même significatif» de personnes encore contaminées au Hubei pour voir la pandémie se répandre dans les autres provinces.
Pis, d’autres signes justifient de vraiment s’inquiéter. Hong Kong, Singapour et Taïwan ont rapidement mis en place des tests intensifs et un suivi de près de toute la population, ce qui leur a permis d’aplatir assez vite la courbe de la propagation du nouveau coronavirus. Dès que la Chine, leur voisin, s’est mis à assouplir les conditions de confinement, chacun d’eux a baissé la garde et invité les gens à reprendre graduellement une vie normale.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : la semaine dernière, une seconde vague de COVID-19 les a frappés de plein fouet! Ce qui s’est traduit par de nouvelles mesures d’urgence : fermeture totale des frontières et quarantaine absolue pour tout le monde jusqu’à nouvel ordre.
«La tension entre la santé, la relance de l’économie et le bien-être émotionnel va contrarier tous les gouvernements dans un avenir prévisible», a avancé M. Leung.
Une pensée qui résume parfaitement, à mon avis, la situation dans laquelle nous nous retrouvons tous, à présent. Qu’on le veuille ou pas, il va nous falloir, un jour ou l’autre, faire des choix déchirants. Choisir entre la peste et le choléra.
Jusqu’à quand pouvons-nous nous permettre d’arrêter de faire tourner une économie? Et jusqu’à quand pouvons-nous nous permettre de sauver le maximum de vies possible? Bref, que vaut-il mieux : sauver une PME ou sauver une vie humaine?
En Chine, le pas a été visiblement franchi : la COVID-19 va faucher des vies, de plus en plus de vies, mais il semble que cela soit le prix à payer pour permettre à la grande majorité de renouer avec «une vie normale»… Les plus faibles, les plus vulnérables sont appelés à périr, à être sacrifiés. Pour le «bienfait» de tous.
La question saute aux yeux, même si nous refusons encore de la voir : quel choix ferons-nous nous-mêmes dans, disons, un mois ou deux? La PME? La vie humaine? Je vous laisse y songer…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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