Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (Photo: La Presse Canadienne)
INDUSTRIE MINIÈRE. Le Québec deviendra un pôle majeur dans la deuxième transformation de minéraux critiques et stratégiques (MCS), affirme le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en entrevue avec Les Affaires. La compétition sera toutefois grande tant du côté des États-Unis que de l’Ontario.
« En Amérique du Nord, on va devenir un joueur important. Est-ce qu’on va être les seuls ? La réponse est non », dit le ministre, en précisant que le Québec peut certainement aspirer à figurer parmi les leaders de l’industrie.
Aux États-Unis, la Géorgie est déjà une plaque tournante. En décembre, les sud-coréennes SK Innovation et Hyundai Motor Group ont annoncé qu’elles y construiraient une usine pour fabriquer des batteries de véhicules électriques — SK exploite déjà une usine de batteries dans cet État.
La Géorgie fait partie de la Battery Belt, une région du sud-est des États-Unis qui comprend aussi le Tennessee, le Kentucky et les deux Caroline. Depuis le début de 2021, plus 15 projets d’agrandissement ou de construction d’usines de batteries ont été annoncés dans la Battery Belt.
Dans son Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025, le gouvernement de François Legault s’est pour sa part fixé l’objectif de faire du Québec « un chef de file » de la production, de la transformation et du recyclage des minéraux critiques et stratégiques.
« Nous voulons devenir le producteur de composants de batteries, insiste Pierre Fitzgibbon. On part de la mine et on va jusqu’au aux cathodes et aux anodes. Une fois que nous avons les cathodes et les anodes, on a les trois quarts de la batterie. »
Après plusieurs tentatives, son gouvernement a renoncé à attirer au Québec ce qu’on appelle un cellulier, soit une entreprise qui assemble des cathodes et des anodes. Il n’a pas réussi à convaincre ceux qu’il a approchés pour venir s’établir à Bécancour.
D’ailleurs, en mars, l’allemande Volkswagen a annoncé qu’elle allait construire une méga-usine de batteries en Ontario. Cette future usine pourrait un jour s’approvisionner en cathodes et en anodes en provenance du Québec.
Les atouts du Québec
Le Québec a plusieurs atouts sur l’échiquier nord-américain.
D’abord, le sous-sol québécois regorge de minéraux critiques et stratégiques tels que le graphite, le lithium et le nickel. La province compte aussi des entreprises québécoises et étrangères spécialisées dans la deuxième transformation de ces intrants essentiels pour fabriquer des batteries de véhicules électriques. De plus, l’australienne Sayona a relancé, en mars, la production de spodumène de lithium à son complexe Lithium Amérique du Nord, à La Corne, en Abitibi-Témiscamingue.
Dans le parc industriel et portuaire de Bécancour, la québécoise Nouveau Monde Graphite (NMG) purifie quant à elle du graphite pour des matériaux de batteries lithium-ion. Ses installations sont situées sur le site du fabricant américain de produits chimiques Olin. NMG y possède aussi un terrain sur lequel elle construira et exploitera une grande usine de fabrication de matériel d’anode lithium-ion à compter de 2026.
Enfin, le consortium Ultium Cam — formé par le constructeur automobile General Motors (GM) et l’aciériste sud-coréen POSCO — est en train de construire une usine de matériaux de cathodes dans ce parc industriel.
À Bécancour, Pierre Fitzgibbon parle même de la création d’un « campus de composantes de batteries » en raison des autres investissements à venir. Il cite notamment la minière brésilienne Vale, qui veut construire une usine de sulfate de nickel (un composant important des batteries) grâce à une entente avec GM. Selon le plan de match, l’usine sera être opérationnelle en 2026.
Près de 10G$ d’investissement
Au total, sur un horizon de cinq à sept ans, le ministre estime que près de 10 milliards de dollars (G$) pourraient être investis à Bécancour. « Aujourd’hui, nous avons de 3 G$ à 4 G$ d’investissements qui sont pas mal confirmés. Et je vois un autre 4 G$ qui va s’en venir », dit-il.
Pierre Fitzgibbon pense notamment à GM, qui pourrait ajouter d’autres phases à sa future usine de matériaux de cathodes. Cela dit, la création de cette grappe ne sera pas un long fleuve tranquille. La compétition sera grande, de la part des États-Unis, mais aussi de nos voisins ontariens, admet Pierre Fitzgibbon.
Si l’Ontario se positionne avant tout comme un constructeur de voitures électriques, la province cherche aussi à devenir un joueur clé dans la fabrication de batteries, notamment à Windsor. En juin, la sud-coréenne LG Energy et le constructeur automobile néerlandais Stellantis ont annoncé qu’elles y investissaient 5 G$ pour construire une usine de batteries.
C’est sans parler du fait que le sous-sol de l’Ontario regorge aussi de MCS. L’an dernier, le gouvernement a d’ailleurs publié la Stratégie ontarienne relative aux minéraux critiques 2022-2027.
Le Québec ne risque-t-il pas de voir un jour des fabricants de cathodes et d’anodes migrer de Bécancour vers l’Ontario ?
Sans sous-estimer ce risque, Pierre Fitzgibbon ne croit pas qu’il soit très élevé. « On a une avance sur l’Ontario, clairement sur toute la question des cathodes et des anodes. L’Ontario a une avance évidemment sur les voitures », insiste-t-il.
Bref, le ministre estime que les deux provinces peuvent jouer un rôle complémentaire en Amérique du Nord, même si un jour le Québec arrivait par exemple à attirer un cellulier ou que l’Ontario se lançait dans la fabrication à grande échelle de cathodes et d’anodes.