Selon une étude du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), le secteur a fait entrer dans ses caisses 164,9 milliards de dollars en 2022, soit un bond de 8,5 % par rapport à 2021. (Photo: 123RF)
COMMERCE DE DÉTAIL. Allez hop ! Pas le temps de souffler. Précipités dans une course au commerce en ligne et à une économie « sans contact » durant la pandémie, les détaillants québécois font maintenant face à une nouvelle série de haies à franchir : compétition de plus en plus féroce, pénurie de main-d’œuvre aggravée et nouvelles attentes des consommateurs, qui veulent tout à la fois, la « livraison le jour même » et une expérience en magasin « sans friction ». Les Affaires creuse le sujet.
Par chance, les détaillants avancent dans cette course à obstacles avec le vent dans le dos. Selon une étude du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), le secteur a fait entrer dans ses caisses 164,9 milliards de dollars en 2022, soit un bond de 8,5 % par rapport à 2021, ce qui représente le « deuxième meilleur taux d’évolution depuis 2010 ».
Damien Silès, directeur général du CQCD, voit malgré tout quelques voyants rouges au tableau. « Le prix de la nourriture et des maisons a explosé. L’inflation freine les dépenses. Les gens réfléchissent à deux fois avant d’effectuer un achat », fait-il valoir, rappelant que, dans l’édition de juin du Baromètre CQCD, près de quatre consommateurs sur dix (39 %) ont affirmé avoir diminué la fréquence de leurs achats. Plus de la moitié des gens sondés (54 %) ont dit ne prévoir « aucun achat important » dans l’année à venir.
Le directeur du CQCD pointe également vers le « problème humain » de la pénurie de main-d’œuvre, comptabilisant 29 000 postes manquants. Un manque de personnel qui explique sans doute le déploiement des caisses « libre-service » dans de grandes chaînes de magasins, puis l’apparition de dépanneurs nouveau genre « sans caissier », comme les deux Marché Aisle 24 ouverts à Montréal et le LIB Dépanneur à Saint-Léandre, dans le Bas-Saint-Laurent.
Damien Silès salue ces initiatives, sans toutefois y voir la panacée. « Ça prend quand même du personnel pour s’occuper de la logistique derrière. Il faut aussi voir l’envers de la médaille de la pénurie de main-d’œuvre : dans une même journée, on demande aujourd’hui aux employés de tout faire : les ventes, la logistique, les RH. Il y a un risque d’épuisement. »
Virage numérique des PME
Parmi les 33 000 entreprises présentes en 2020 dans le commerce de détail, 82 % comptaient 19 employés et moins, souligne le directeur du CQCD. « C’est peut-être ce qui explique la difficulté du secteur à prendre le virage numérique. » Dans une étude sectorielle de Détail Québec, il est mentionné que 44 % des commerçants effectuaient « des ventes en ligne » en 2020. À l’époque, les auteurs de l’étude projetaient que 64 % des commerçants québécois auraient adopté la vente en ligne en 2023. Mais est-ce réellement le cas ?
En août dernier, Alain Dumas, alors directeur général du Panier bleu, constatait dans une entrevue avec Les Affaires que plusieurs PME avaient revu leurs ambitions numériques à la baisse en sortant de la pandémie. « Il y a eu un retour du balancier. Certaines entreprises se sont rendu compte qu’avoir une boutique en ligne, c’est un travail en soi, et ils ont choisi de se concentrer sur leurs activités de terrain. » Des quelque 22 000 commerçants s’étant joints à la « liste » initiale du Panier bleu, dit-il, environ 1000 se sont portés volontaires pour intégrer le site transactionnel. Finalement, moins de 500 présentaient les requis logistiques pour intégrer la « place de marché » du Panier bleu, en son état actuel.
Malgré tout, on peut quand même affirmer qu’il existe un mouvement de fonds des PME vers l’adoption de solutions numériques. Depuis le début de l’année 2022, 6700 commerçants se sont inscrits à l’essai gratuit du programme Mon commerce en ligne offert par l’Association québécoise des technologies (AQT). Et 1500 commerçants ont participé aux webinaires thématiques de l’association.
Vers un « commerce unifié »
Les petits détaillants n’ont plus le luxe d’attendre ; ils doivent s’activer face à une concurrence de plus en plus féroce des gros joueurs. « Le virage numérique, c’est un concept largement dépassé, annonce Charles de Brabant, directeur général de l’École Bensadoun de commerce au détail. Les entreprises [qui mènent la marche] font du commerce unifié, en offrant une expérience lisse et transparente tant en ligne qu’en magasin. »
De son côté, Damien Silès souligne que les consommateurs ont adopté de nouveaux comportements postpandémiques. « Un tiers des consommateurs (33 %) vont sur un site Internet avant de se déplacer au magasin, pour voir des produits ou pour les comparer », illustre-t-il.
L’appétit des consommateurs semble demeurer intact pour le moment. En juin dernier, les ventes ont progressé de 0,1 %, malgré l’inflation. D’octobre à juin, l’indice de confiance des consommateurs a quant à lui remonté de 6,4 points, pour atteindre 84,7. Voilà autant de signes que la situation peut continuer d’évoluer à l’avantage des commerçants.