Je crains que des poils n’envahissent bientôt mes oreilles et mes narines, comme si après avoir perdu quelques batailles sur le crâne, le système pileux battait en retraite pour se réfugier dans de petites cavernes. C’est aussi généralement le signe qu’on est déjà devenu radoteux. Et il se trouve que je commence à radoter.
Excusez-moi de vous rabâcher le sujet, de toute la faune qui peuple l’industrie des services financiers, aucun animal ne m’incite plus à la méfiance que celui qui vend de l’assurance vie. L’air de rien, il est prompt à offrir des produits coûteux, parfois très compliqués, à l’utilité discutable, avec des arguments savants teintés de bienveillance. Il est malin celui-là.
Ce n’est pas qu’il soit guidé par de mauvaises intentions, mais sa rémunération l’y encourage. Les commissions sur les assurances vie permanentes sont à ce point importantes qu’elles relèguent en arrière-plan le meilleur intérêt des consommateurs, et ce malgré l’obligation des représentants de procéder à une analyse des besoins des clients. Cette exigence ne me paraît pas un rempart des plus solides contre les exagérations; délimiter les besoins successoraux auxquels répondent entre autres les produits d’assurance vie, cela me semble dans bien des cas une opération subjective.
Céline (j’ai changé son prénom à sa demande) s’est récemment trouvée confrontée à un vendeur d’assurance et à son pouvoir hypnotique. Elle cherche un avis, c’est la raison du message qu’elle m’a envoyé. Des opinions sur le sujet, ce n’est pas ce qui me manque, mais j’ai préféré m’en remettre à Denis Preston, un spécialiste de la question. Planificateur financier et comptable, il a œuvré une trentaine d’années dans l’industrie. L’expert, maintes fois honoré par ses paires, est aujourd’hui consultant, formateur et chargé de cours à HEC Montréal où il traite notamment de l’assurance en planification financière. Il n’a rien à vendre.
Âgée de 65 ans, notre lectrice, elle, est maintenant retraitée. Céline tire des revenus bruts de 60 000$ de diverses sources, dont un régime de retraite à prestations déterminées, ce qui lui suffit pour vivre. Elle est aussi assise sur un joli pactole : 87 000$ dans le CELI, 200 000$ dans un REER et 575 000$ de placements non enregistrés. Elle est à son affaire et sait visiblement faire fructifier son argent. Elle ne traîne aucune dette, sa maison est payée. La retraitée a un fils de 41 ans et trois petits-enfants.
Dans la foulée d’un énième jeu de chaise musicale à son institution financière, un nouveau conseiller financier, ici un représentant en épargne collective doublé du titre de «conseiller en gestion de patrimoine», lui a été assigné. Lorsque ce dernier a pris connaissance du dossier de Céline, il a tout de suite vu qu’il y avait matière à bonimenter sur le terrain successoral. Il a transmis le dossier à son collègue conseiller en sécurité financière, celui autorisé à vendre des produits d’assurance vie. Le tandem a invité notre lectrice à une rencontre de «Stratégie de création de richesse», sans préciser de quel côté de la table allait être créée cette richesse.
Pour l’essentiel, la stratégie proposée repose sur l’achat d’une police d’assurance vie permanente de 500 000$. La prime s’élève à 30 000$ par année, laquelle sera réglée grâce à des retraits des comptes de placements non enregistrés de la retraitée. La police sera entièrement payée en 10 ans, Céline devra donc débourser 300 000$ en tout. Le principal argument des conseillers : l’économie d’impôt. C’est le principal avantage de ce produit, à moins d’avoir la chance de mourir rapidement, ce qui s’avère aussi fort rentable.
La question fiscale se présente sous plusieurs angles ici. Selon les conseillers de Céline, le capital décès permettra d’essuyer la facture d’impôt de la succession, particulièrement lors de la liquidation du REER, s’il en reste. À 71 ans, la retraitée devra convertir son REER en FERR et sera par la suite tenue de le dégarnir peu à peu chaque année et de payer son dû au fisc de son vivant. Cela pour dire que l’impôt latent qui pèse sur la succession de Céline ne justifie pas une assurance vie d’un demi-million de dollars. Aussi, puisque les actifs sont liquides, il sera facile de régler l’éventuelle note fiscale au décès en vendant des placements. Il en serait autrement d’un immeuble qui aurait pris de la valeur avec le temps.
Surtout, arguent encore les conseillers de Céline, le capital décès ne sera pas imposable et pourra pleinement profiter à sa descendance. C’est vrai, en quelque sorte, mais Denis Preston signale que les primes d’assurance sont soumises à une taxe de 3,48 %. Il note également que les assureurs doivent payer un impôt de 15% sur les revenus générés à l’intérieur de la police, lequel est reflété dans le coût de la prime. «C’est faux d’affirmer que l’assurance vie nous met totalement à l’abri du fisc», dit-il.
La stratégie sera assurément gagnante si Céline décédait rapidement. Elle a toutefois une chance sur deux de vivre jusqu’à 91 ans. Les probabilités qu’elle soit encore en vie à 96 ans s’élèvent à 25%. Que représenteront 500 000$ dans 25 ou 30 ans en comparaison de 300 000 aujourd’hui? Un rendement délirant n’est pas nécessaire pour battre la police d’assurance sur une telle période, même après que le fisc se soit servi.
Je suis là à soupeser lequel des produits pourrait produire le meilleur rendement, mais la question de fond reste à savoir si une police d’assurance vie d’un demi-million de dollars répond à un véritable besoin «successoral» de Céline. Y en a-t-il un?
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Claude, lui, a succombé aux arguments du vendeur d’assurance. C’était en 1998. «J’ai contracté une assurance de 200 000$, dit-il, qui me coûte 7 500 $ de primes par année. À ce jour, j’ai payé 157 000$!» Claude a 87 ans, la solution serait de mourir, mais elle ne lui plaît guère, je le comprends. Cesser de payer la prime? Il y songe, mais il romprait alors le contrat et perdrait tout ce qu’il a investi dans cette police, ce qui ferait l’affaire de l’assureur.
Notre lecteur a une chance sur quatre de vivre jusqu’à 95 ans. S’il s’y rend, ce dont on ne doute pas, il lui faudra verser encore 60 000$ en primes d’assurance. Voici maintenant l’alternative qui se présente à lui : mettre un terme au contrat ou continuer de payer les primes (60 000$) pour un capital décès 200 000$.
Si l’achat de l’assurance a été une erreur, il en commettra une pire encore en l’abandonnant maintenant. S’il n’a plus les moyens, Claude pourrait demander à un proche d’assumer les primes et désigner celui-ci comme bénéficiaire. En fin de compte, Claude aura fait une mauvaise affaire, mais celui qui prendra le relais fera un excellent placement.
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