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La crise accélèrera-t-elle la transition?

Kévin Deniau|Édition de la mi‑septembre 2020

La crise accélèrera-t-elle la transition?

Entosystem est une entreprise sherbrookoise d'une quinzaine d'employés qui élève des mouches soldats noires, dont la farine hautement protéinée peut servir d'aliment pour les animaux domestiques, les volailles et les poissons d'élevage. Ses larves sont nourries uniquement de matières organiques non valorisées. (Photo: courtoisie)

ENVIRONNEMENT. En temps de crise, l’un des premiers réflexes des entreprises est d’essayer d’optimiser l’utilisation de leurs ressources. C’est justement ce que vise l’écologie industrielle, cet ensemble de stratégies faisant la promotion des échanges de ressources de toutes sortes entre des entreprises d’un même territoire.

Plus de 420 synergies – nom donné aux mises en commun des ressources faisant en sorte que les matières résiduelles de certaines entreprises deviennent les matières premières d’autres – ont été concrétisées entre 2015 et 2019 au Québec, d’après le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI), basé à Sorel-Tracy. Le tout représente 17 800 tonnes de matières résiduelles déviées de l’élimination, et une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 9 200 tonnes d’équivalent CO2.

Des chiffres qui pourraient gonfler dans les années à venir si la relance économique post COVID-19 se fait d’une manière plus verte que les précédentes, comme le réclament de nombreuses voix, dont une vingtaine de chercheurs québécois signataires d’une tribune en ce sens publiée dans plusieurs médias en avril. «J’espère que cette crise va accélérer la transition écologique et que les gens vont apprendre à fonctionner différemment et plus localement», affirme Claude Maheux-Picard, directrice générale du CTTEI.

La Ville de Montréal a par exemple présenté, le 17 juin, un plan de relance économique de 22 millions de dollars (M $), dont l’une des 20 mesures est justement le déploiement d’une stratégie pour favoriser l’économie circulaire, en plus de tendre vers l’objectif du zéro déchet d’ici 2030. Le même jour, Fondaction annonçait le lancement d’un fonds de 30 M $ pour soutenir la reprise économique. Ce dernier permettra d’investir dans des PME qui souhaitent transformer leur modèle en y intégrant des principes de circularité, notamment en matière de réduction des émissions de GES et de baisse de production de matières résiduelles.

Rien ne se perd

Prenons un exemple concret. Entosystem est une entreprise sherbrookoise d’une quinzaine d’employés qui élève des mouches soldats noires, dont la farine hautement protéinée peut servir d’aliment pour les animaux domestiques, les volailles et les poissons d’élevage. Ses larves sont nourries uniquement de matières organiques non valorisées. «On évite ainsi l’enfouissement de ces matières qui auraient, sinon, émis du méthane, un puissant GES», explique Cédric Provost, son président et cofondateur.

L’entreprise se fournit notamment en orge déclassée – qui ne répond pas aux critères de la Commission canadienne des grains – auprès de la malterie voisine, Innomalt. «C’est un intrant à faible coût pour nous», indique Cédric Provost. Son processus permet par la même occasion de produire un fertilisant écologique.

Actuellement, six tonnes de matières organiques par jour sont traitées par Entosystem. L’an prochain, la jeune pousse entend construire une usine qui lui permettra, à terme, d’en absorber plus de deux cents tonnes. Pour diversifier ses approvisionnements, elle teste également une alimentation faite de pommes ou de raisins non conformes.

Vaincre l’inertie

«Après chaque crise, on a l’espoir que l’économie va changer, mais on reprend toujours nos vieilles habitudes. J’ose espérer que cette fois, c’est la bonne !» souligne avec réalisme Hélène Gignac, membre du conseil d’administration de Recyc-Québec et ancienne directrice du CTTEI. Selon elle, une des solutions serait de fixer un prix plus juste pour la pollution. Les coûts d’enfouissement étant très bas au Québec, cela n’incite pas, en effet, au changement de pratique.

Pour Claude Maheux-Picard, le défi majeur est de vaincre l’inertie. «Beaucoup de dirigeants sont pris dans le tourbillon de leurs activités et n’ont pas le temps de prendre le recul nécessaire pour se poser la question de l’écologie industrielle. D’où la mise en place de Synergie Québec, un réseau d’animateurs pour les accompagner dans cette démarche.» Le CTTEI vient d’ailleurs de publier un premier recueil de synergies regroupant 11 cas concrets de réalisations en économie circulaire au Québec. «Il n’y a pas mieux qu’un entrepreneur qui démontre que cela fonctionne pour en convaincre un autre», sourit la directrice générale.

Des retombées

Le recueil permet de constater que les gains liés à l’écologie industrielle peuvent aussi être financiers : les 420 synergies québécoises comptabilisées ont généré au total 4,3 M $ d’économies. «Honnêtement, la première motivation des entreprises est plus souvent économique, note Claude Maheux-Picard. Mais après un premier projet, elles vont progressivement changer leur façon de penser et le faire plus pour des raisons environnementales.» La démonstration qu’écologie et industrie ne sont donc pas forcément contradictoires.