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CHRONIQUE. La croissance du bénéfice par action (BPA) est sans aucun doute l’un des critères les plus importants pour évaluer les actions d’une société cotée en Bourse. On pourrait donc croire que les entreprises où les analystes prévoient la plus forte croissance des bénéfices seront celles qui obtiendront les rendements les plus élevés. Eh bien non !
Ça peut sembler contre-intuitif, mais une étude du Journal of Finance*, qui a analysé le rendement boursier de plus de 2 350 entreprises en Bourse depuis 1981, explique pourquoi. L’étude montre que les sociétés pour lesquelles les analystes anticipent une forte croissance du BPA finissent généralement par « décevoir » dans les années qui suivent. Par exemple, si l’entreprise affiche une honorable augmentation de 20 % de son BPA, cette progression sera vue comme une déception et fera reculer le prix du titre si les attentes étaient à 25 %.
À l’inverse, il arrive souvent que les entreprises pour lesquelles les analystes ont de très basses attentes affichent des rendements boursiers très intéressants. La raison est que ces sociétés vont plus souvent réussir à « surprendre » le marché avec les résultats « moins pires » que prévu. Supposons que les analystes prévoient un BPA inchangé d’une année à l’autre, mais qu’il augmente finalement de 2 %. Ce n’est pas beaucoup, 2 % de plus pour le BPA, mais il s’agit tout de même d’une belle surprise qui fera augmenter le prix en Bourse et probablement de beaucoup plus que 2 %.
Il faut se rappeler que le prix en Bourse d’une action reflète déjà les prévisions des bénéfices futurs. Les actions d’entreprises dont les prévisions du BPA pointent vers une forte croissance sont en général chèrement évaluées. En payant très cher, c’est beaucoup plus difficile d’obtenir du rendement par une appréciation encore plus importante du prix de l’action. À l’inverse, les entreprises où les analystes sont pessimistes ont des évaluations plus raisonnables.
Ces principes se reflètent dans l’étude du Journal of Finance. Les auteurs ont séparé les entreprises par déciles selon la croissance prévue de leur BPA. Au seuil supérieur, il y a plus de 220 entreprises avec une croissance annuelle prévue de 38 % en moyenne. C’est très élevé. Par contre, le rendement boursier moyen a été de seulement 3 %. L’étude souligne que les analyses ont eu raison de prévoir une plus forte croissance de ces entreprises, de petites capitalisations pour la plupart, mais qu’ils ont été trop optimistes. La croissance des BPA a été plus basse que le 38 % qui était prévu, d’où le rendement boursier décevant.
Au décile le plus bas, on comptait plus de 240 entreprises dont la croissance prévue était de seulement 4 %. Or, leur rendement à la Bourse a été de 15 % en moyenne, bien mieux que les titres de croissance, car les sociétés ont dévoilé des résultats meilleurs que prévu.
Prenez garde aux sirènes de la croissance
Les entreprises ayant les plus fortes croissances attirent certes l’attention des analystes et des investisseurs. Et pour cause ! Afficher une croissance du BPA de 25 % est quelque chose d’impressionnant. Toutefois, leurs fortes croissances n’en font pas nécessairement de bons investissements. Vous payerez vraisemblablement trop cher si le marché financier a déjà gonflé le prix de l’action pour refléter des prévisions de croissance optimistes.
Vers quelle entreprise les investisseurs doivent-ils se tourner ? À la lumière de ces résultats, mieux vaut miser sur les sociétés sous-estimées pour obtenir de meilleurs rendements. C’est là où vous avez plus de chance d’avoir d’agréables surprises.
*P. Bordalo, N. Gennaioli, R. LaPorta et A. Shleifer (2019), «Diagnostic Expectations and Stock Returns », Journal of Finance, décembre 2019, pp 2839‑2875.