La fiscalité, la pointe de l’iceberg des créateurs de contenu
Thomas Gaudet|Publié le 23 février 2022Jusqu’à présent, l’encadrement fiscal des particuliers offrant des services publicitaires par l’entremise de leurs médias sociaux est plutôt nébuleux. La fiscalité peut être un iceberg pour ceux-ci et ils seraient mieux d’avoir un bon gouvernail. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Depuis la montée en flèche des géants de la diffusion de contenu numérique (Facebook, Instagram, YouTube, TikTok, Twitch), un nouveau mot est apparu dans le lexique des Québécois: créateur de contenu. Si bien des gens doutent de la pérennité de ce mot, force est d’admettre que les chiffres témoignent d’eux-mêmes que la profession est vouée à un bel avenir.
Élisabeth Rioux a récemment avoué en entrevue qu’elle était payée entre 5000$ et 25 000$ par publication. Il est évident que la fondatrice de Hoaka Swimwear n’est pas un échantillon représentatif de l’ensemble des créateurs de contenu québécois, mais il n’en demeure pas moins que le marché du marketing d’influence est en croissance.
L’augmentation du nombre de créateurs de contenu numérique au fil des dernières années force les autorités fiscales à se pencher sur un problème important, soit l’imposition de leurs revenus. Jusqu’à présent, l’encadrement fiscal des particuliers offrant des services publicitaires par l’entremise de leurs médias sociaux est plutôt nébuleux. Ainsi, comme les particuliers doivent produire leurs déclarations d’impôt prochainement, il s’avère plus qu’important de les aviser des obligations fiscales liées à leur domaine d’activité. La fiscalité peut être un iceberg pour ceux-ci et disons que ces derniers seraient mieux d’avoir un bon gouvernail.
Obligations fiscales de base du travailleur du Web
Cette nouvelle profession outrepassant les mers connues cause bien des remous dans la population générale, encore plus chez les autorités fiscales. Celles-ci devront trouver rapidement la façon de faire appliquer la loi de façon uniforme à l’ensemble des contribuables afin d’éliminer les zones grises.
«D’entrée de jeu, un particulier faisant de la publicité par l’entremise de ses plateformes numériques est considéré comme un travailleur autonome» rapporte Tristan Filion, fiscaliste chez MNP.
Cela implique donc que le créateur de contenu est obligé de payer de l’impôt provincial et fédéral sur ses revenus gagnés selon les taux de table d’imposition des particuliers. Dès l’année suivant la production de la déclaration de revenus de travailleur autonome, le travailleur du Web pourrait avoir l’obligation de verser des acomptes provisionnels, s’il devait plus de 1800$ en impôt, tant au provincial qu’au fédéral.
Le créateur de contenu doit également payer des charges sociales portion employé (Régie des rentes du Québec, Régime québécois d’assurance parentale) et employeur (RRQ, RQAP, Fonds des services de santé).
Le travailleur autonome paye effectivement plus de charges sociales qu’un employé. Personne ne peut douter de leur générosité! Heureusement, sous réserve de versements d’acomptes provisionnels, le gouvernement attend au 30 avril de l’année suivante pour collecter la dette.
Ce n’est pas tout. La personne ayant une haute tribune sur ses médias numériques doit également s’inscrire aux taxes si elle effectue plus de 30 000$ de fournitures taxables. Dès que celle-ci atteint ce chiffre, elle a pour obligation de facturer des taxes sur les revenus qu’elle gagne. En contrepartie, elle peut récupérer les taxes payées sur toutes les dépenses qu’elle a engagées pour gagner ce dit revenu.
Il arrive parfois qu’il soit avantageux de s’enregistrer aux taxes avant d’avoir franchi le seuil de 30 000$ de ventes taxables afin de récolter les taxes payées sur les dépenses importantes engagées.
Les obligations sont nombreuses pour un travailleur du Web comme pour tout travailleur autonome. L’important est de voir au loin l’iceberg afin de ne pas entrer en collision.
Revenus collatéraux et dépenses déductibles
Explorons maintenant les fonds marins obscurs. Ce sont des endroits que les autorités fiscales ont avantage à examiner, car ils regorgent de belles découvertes et de grosses prises.
Les gros poissons sont l’imposition des cartes-cadeaux, des rabais différés et des articles promotionnels reçus à titre gratuit. Le créateur de contenu peut être rémunéré sous différentes formes, soit en argent ou en avantages collatéraux tels que des cadeaux, des cartes-cadeaux et des voyages. Sur le site de l’Agence du revenu du Canada, il est écrit noir sur blanc que les revenus gagnés sous toutes ces formes doivent être inclus dans les déclarations d’impôt. Concrètement, le créateur de contenu doit payer de l’impôt sur la valeur des biens et services reçus, qu’ils soient sous forme monétaire ou non.
«Un créateur de contenu imposé au taux d’imposition marginal maximum le plus élevé qui reçoit un article promotionnel d’une valeur monétaire de 1000$ devrait assumer un impôt combiné de 53,31%, en plus de devoir payer les taxes à la consommation. Cela résulterait en un paiement de 682,85$ sur l’article supposément gratuit», ajoute Tristan Filion.
Plusieurs travailleurs du Web ignorent cette obligation et, dans cette éventualité, ceux-ci pourraient être exposés à des amendes salées.
Les créateurs de contenu diront qu’ils ont le droit de déduire les dépenses qu’ils ont engagées pour gagner ledit revenu. C’est là que le bât blesse pour les autorités fiscales. Comment déterminer si la dépense payée par la personne faisant de la publicité sur ses plateformes numériques est raisonnable et a réellement servi à générer des revenus?
Si un créateur de contenu est spécialisé dans le tourisme, est-ce que l’appareil photo à 1000$ qu’il utilise est une dépense capitalisable permettant la déduction pour amortissement? Dans un autre ordre d’idées, si celui-ci se rend à Bali pour réaliser une séance photo, est-ce que le billet d’avion est déductible s’il n’est pas assumé par la compagnie lui demandant le service? Est-ce que la personne qui fait des publicités culinaires peut capitaliser son comptoir en quartz et déduire les aliments achetés à l’épicerie, même si le repas préparé lors de ses activités d’entreprise sera mangé par sa famille?
«Pour faire suite à ces questions, il faut comprendre que la déductibilité des dépenses relève d’une question de fait. Il faut de plus s’assurer de la raisonnabilité de celles-ci, sans quoi la déduction ne sera guère accordée», indique Tristan Filion.
On constate que les autorités fiscales marchent sur des œufs. Une chose est sûre, lorsque celles-ci prendront position sur certains dossiers, cela servira de jurisprudence pour les créateurs de contenu.
Le métier de travailleur du Web peut apporter énormément de notoriété, mais il vient aussi avec plusieurs obligations fiscales: payer des charges sociales, s’enregistrer aux taxes et déclarer ses revenus monétaires et non monétaires. Il est important d’être blanc comme neige pour éviter des surprises lors de vérifications fiscales. Le gouvernement peut recotiser la personne faisant des publicités commanditées au-delà de la période de prescription normale de trois ans lorsque les revenus ne sont pas déclarés.
Les autorités fiscales sont beaucoup plus à l’affût que ce que les créateurs de contenu peuvent penser. Ils peuvent passer en revue leurs publications et analyser chacun de leurs cadeaux reçus. Ils peuvent également se fier aux caractères en haut de leur nom d’utilisateur indiquant publicité commanditée ou commanditée. Cela leur donne un bon indice pour savoir si les créateurs de contenu ont été rémunérés par une entreprise. Les preuves sont exposées sur la place publique: les médias sociaux.
«Dans un système fiscal d’autocotisation, il est du devoir du particulier de se conformer à ce principe et de déclarer l’entièreté de ses revenus générés durant son année civile. Afin de pallier la non-conformité fiscale actuelle de certains créateurs de contenu, une bonne manière de les inciter à se conformer serait que les autorités fiscales mettent en place une divulgation obligatoire des entreprises ayant recours à leurs services publicitaires», affirme Tristan Filion, qui traite du sujet dans le cadre de son essai en fiscalité.
Les créateurs de contenu doivent donc bien connaître ce qui se cache sous la pointe de l’iceberg et ainsi éviter de couler comme le célèbre Titanic.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Tristan Filion, fiscaliste chez MNP Drummondville, cabinet offrant des services de comptabilité, consultation et fiscalité.