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La gestion d’une crise sanitaire vue par Dre Joanne Liu

Karl Moore|Publié le 26 mai 2020

La gestion d’une crise sanitaire vue par Dre Joanne Liu

Dre Joanne Liu a combattu l'Ebola, aujourd'hui elle s'attaque à la COVID-19 dans les CHSLD. (Photo: Getty Images).

BLOGUE INVITÉ. Lorsqu’elle était présidente internationale de Médecins Sans Frontières (MSF) pour deux mandats, Dre Joanne Liu a coordonné la stratégie de l’organisation face à la propagation du virus Ebola. Son inclusion sur la liste des 100 personnes les plus influentes du magazine TIME en 2015 lui a valu le surnom de « combattante pour la santé mondiale. » Aujourd’hui, elle lutte contre la COVID-19 depuis les CHSLD du Québec.

L’ampleur de la pandémie actuelle est comparable aux conséquences de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, qui a ravagé les fondations sociales, économiques et médicales de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone. Dre Liu constate également une similitude dans le déséquilibre entre les ressources disponibles et le nombre de patients que les deux crises médicales ont mis en évidence dans certaines régions.

« Nous n’avons pas l’habitude de gérer des pertes humaines considérables dans les pays à haut revenu comme le Canada, remarque-t-elle. Nous ne sommes pas habitués à faire des choix difficiles comme qui va recevoir un respirateur ou un lit en soins intensifs. Nous avons vécu cela en Afrique de l’Ouest et maintenant nous avons vécu cela aux États-Unis et dans certains pays d’Europe. »

Malgré ces parallèles, Dre Liu estime que tenter de tirer trop de comparaisons entre la pandémie actuelle et d’autres épidémies de maladies infectieuses risque d’invalider les préoccupations des professionnels et des citoyens concernant les effets de la COVID-19.

« Pour tous ceux qui traversent cette épreuve, c’est réel et pénible et nous devons respecter cela, souligne Dre Liu. Nous ne sommes pas habitués à ce genre de facteurs de stress. Nous n’avons pas de bombes qui nous tombent sur la tête, mais les gens se sentent tout de même mal à l’aise dans les circonstances actuelles, et nous devons être capables de les entendre. »

Protéger ses premières lignes

Les travailleurs de la santé en particulier portent le fardeau de cette anxiété d’après l’expérience de Dre Liu.

« Le personnel est inquiet, dit-elle. Ils ont du mal à fournir les soins nécessaires et ils mettent leur vie en danger. Ils sont tiraillés entre le serment d’Hippocrate et leur propre survie. »

Pour lutter plus efficacement contre la COVID-19 et continuer à préparer le système de santé contre ses effets violents, Dre Liu recommande un meilleur soutien qui reconnaît le pire des éventualités. Selon elle, ce soutien comprend des installations médicales dédiées au traitement des patients ayant contracté la COVID-19 et le maintien des soins critiques pour les autres patients. Il faut également protéger la santé physique et mentale des professionnels de la santé.

« On ne peut pas demander aux gens de se rendre sur le front sans être protégés, dit Dre Liu. On ne peut pas demander aux gens de risquer leur vie sans être protégés. On n’envoie pas de soldats au front sans armes ni munitions. On ne peut pas envoyer nos médecins et nos infirmières sans protection. Si on veut que les gens tiennent bon, il faut les protéger. »

En plus de s’assurer que les professionnels de la santé ont accès à une quantité suffisante d’équipements de protection individuelle, Dre Liu soutient que leur fournir un soutien psychologique est essentiel pour une lutte durable contre le coronavirus. Entre la nécessité de prendre des décisions difficiles concernant les soins aux patients et la menace à leur propre vie ou celle de leurs proches, leur résistance mentale est mise à l’épreuve chaque jour pendant cette crise. 

« Les personnes travaillant dans ce genre de circonstances doivent être équipées pour pouvoir continuer à travailler, dit-elle. Ils ont besoin d’un espace pour exprimer leurs préoccupations et où ils peuvent obtenir un soutien mental. Sinon, ils vont craquer. »

La segmentation des patients positifs et négatifs et le soutien accru aux prestataires de soins que Dre Liu préconise ont été largement absents des CHSLD au Québec où elle travaille maintenant, qui comptent plus de 2000 décès.

Miser sur la transparence

Une communication claire de la part des responsables gouvernementaux, précisant les précautions et les mesures prises pour contenir le virus, est tout aussi importante pour maintenir le moral des travailleurs essentiels et des personnes confinées à la maison. Dre Liu se souvient des répercussions du manque de transparence dans l’annonce de la mise en quarantaine d’un quartier au Libéria lors de l’épidémie Ebola, qui a entraîné la mort d’un adolescent lors d’un affrontement entre civils et forces de l’ordre. Sans la confiance du public, les efforts que le Canada et d’autres pays du monde entier ont déployés pour contenir la COVID-19 s’avéreront moins efficaces.

« Nos dirigeants doivent veiller à maintenir ce dialogue transparent, car la confiance du public est fondamentale pour que nous puissions réagir et traverser les périodes difficiles, encourage Dre Liu. Les gens vous accompagneront, mais ils veulent s’assurer que vous leur dites la vérité. »

 

Karl Moore et Marie Labrosse. Karl est professeur associé à la Faculté de gestion Desautels et Marie est étudiante en maîtrise de littérature anglaise, tous deux à l’Université McGill.