En vous abonnant à Spotify, vous pouvez payer 1200$ sur dix ans et vous retrouver avec... rien! (Photo: 123rf.com)
BLOGUE INVITÉ. Plus jeune, je me suis un jour abonné à un service de livraison de CDs à domicile. Columbia House. Douze CD pour douze cents. L’aubaine du siècle! Columbia sanctifiait ce faisant ce qu’on a plus tard désigné comme un «régime d’abonnement par défaut» (negative option billing), une pratique qui depuis, a été largement encadrée et réglementée au Canada.
Car ce que mon esprit adolescent n’avait pas compris, c’est que je m’engageais par le fait même à acheter pendant de nombreux mois ensuite des CD dont je ne voulais pas nécessairement, au plein prix de 18,99$. Une marge brute correspondant à environ 2000% du coût de production, sur lequel ma «gratuité» initiale finirait par se recouper.
Malgré ses pratiques douteuses en termes de marketing, Columbia préfigurait une transformation assez significative de l’économie, celle d’un système où l’abonnement est devenu la norme, et avec lui un système de captation de rentes qui appauvrit tout le monde.
Médias numériques
Au moment même où je commandais mes premiers CDs, certains renégociaient peut-être leur abonnement au câble. Pour moins de 100$, ils avaient accès à tout, ou presque, le contenu disponible au Canada.
Aujourd’hui, alors qu’un nombre croissant de ménages se désabonnent du câble, les plateformes d’abonnement se multiplient. Netflix, Hulu, HBO, et plus près de nous Illico, Crave et TOU.TV Extra, l’ensemble de ces services ne vous donnent accès qu’à une fraction du tout, pour environ le même prix mensuel que vous payiez jadis.
Disney – dont la position dominante n’a cessé de se renforcer à la suite d’une vague d’acquisitions importantes incluant Lucasfilms (Star Wars), Pixar, Marvel (Avengers, Black Panther, SpiderMan, etc.) et Fox (X-Men, Simpsons, etc.), a annoncé l’an dernier son intention de créer sa propre plateforme. Une autre opportunité d’extraire une rente de 15$ par mois à des consommateurs qui bénéficient déjà de ces contenus via leurs abonnements existants.
Car ne soyons pas dupes: cet éclatement fractal du système d’abonnement vise à trouver le point d’équilibre permettant d’extraire un maximum de rente des consommateurs individuels en fournissant un minimum de contenu. Le fractionnement se poursuivra, jusqu’à l’éclatement.
Et il en va de même du côté de la musique. D’un régime d’achat et de propriété des œuvres, l’abonnement mensuel a la cote. Le nouveau Columbia s’appelle Spotify, et si le premier mois est gratuit, il vous propose quant à lui de payer 1200$ pour 10 ans, et au terme de cet investissement, de vous retrouver avec… rien!
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Sur une base cumulée, la répartition des gains avantage très inégalement un petit nombre de plateformes et d’intermédiaires, au détriment de tout le reste, dont les créateurs eux-mêmes.
À la limite dans les milieux de la création, la production constante de contenus nouveaux – comme en témoigne le réinvestissement important de ces fournisseurs en contenus originaux – justifie en partie le prix de l’abonnement.
L’arnaque logicielle
Là où le bât blesse, c’est lorsque certains acteurs en position dominante adoptent ces mêmes stratégies.
Microsoft, qui n’a jamais été gênée d’abuser de son pouvoir – que ce soit à l’époque d’Explorer, ou encore comme en témoigne ses acquisitions récentes de Skype, LinkedIn et Github –, oblige maintenant un abonnement à Microsoft Word! Un logiciel, dont les fonctionnalités n’ont pas évolué depuis 1992, mériterait donc soudainement que 100% de la population active de la planète renouvelle cet achat obligé, chaque année, à perpétuité.
Il en va de même pour toute une série de logiciels qui ne sont plus disponibles à l’achat, dont par exemple la suite Adobe. L’entreprise de logiciels, qui n’accepte d’ailleurs pas le dollar canadien, exige plus de 700$ par année pour l’utilisation de ses outils phares comme Photoshop et InDesign.
Bien entendu, les régimes de location d’actifs ont leur place dans une économie offrant une prime à la flexibilité et aux usages variés. Mais quand des plateformes tirent parti d’une position dominante pour extraire une rente à l’ensemble des citoyens, concentrant des bénéfices au détriment de coûts diffus, c’est qu’il est peut-être temps de revoir le cadre législatif.
Au risque de voir une richesse croissante capturée au profit d’un petit nombre d’exploitants, il faut tirer les enseignements qui s’imposent de la grande épopée Columbia House, et remettre un peu d’ordre dans la maison du numérique.